Châteaux en Pays de Loire 33

CHATEAU de CHAMBORD 4

L’arrivée sur les terrasses est une nouvelle source d’émerveillement.

Château de Chambord, CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, CC BY-NC Jacques BOUBY

Les toitures des pavillons y sont hérissées de tourelles d’escalier, de souches de cheminée (282) et de lucarnes au décor foisonnant : moulures, ornements, plaques d’ardoise rondes, carrées, en losange.

Château de Chambord, CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, CC BY-NC Jacques BOUBY

Cette maquette permet d’entrevoir, à défaut de drone, l’incroyable féérie de cet ensemble.

Château de Chambord, maquette des terrasses -CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, maquette des terrasses -CC BY-NC Jacques BOUBY

Le 29 mars 1537, c’est Félibien (voir plus bas) qui le rapporte, un marché est passé et payé aussitôt, entre Philibert Babou de la Bourdaisière, (cf envoi 16) surintendant des constructions royales de François Ier et Antoine de Troyes pour « l’entreprise des tours et pavillons quarrez » des terrasses. On imagine les problèmes redoutables d’étanchéité qui d’ailleurs dès l’époque de Catherine de Médicis ont failli coûter la ruine de Chambord.

Château de Chambord, Terrasses -CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, Terrasses -CC BY-NC Jacques BOUBY

Exubérance réjouissante, on y croit circuler dans les rues d’une ville aérienne posée sur la masse austère du donjon. Céleste ! Mais fort tempérée par des bourrasques de pluies qui venaient régulièrement nous doucher et nous faire courir aux abris !

Château de Chambord, Terrasses -CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, Terrasses -CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, Terrasses -CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, Terrasses -CC BY-NC Jacques BOUBY

Notez que Léonard de Vinci meurt 18 ans (!) avant les travaux de la terrasse mais certains lui en attribuent encore la paternité au vu de son Codex sur la «Ville à deux niveaux». Incurables ! alors qu’il va presque de soi que l’on retrouve là toute la silhouette flamboyante des châteaux -bien français- que peignent à profusion Les Très riches heures du Duc de Berry, ce chef d’oeuvre de l’enluminure médiévale achevé en 1416 que François 1er grand passionné du Moyen Âge connaissait par coeur. Toute imprégnée de Chevalerie, son enfance se passa en compagnie de Lancelot du Lac et ses aventures.

Les Très riches heures du Duc de Berry, Vendanges-CC BY-NC Jacques BOUBY
Les Très riches heures du Duc de Berry, Vendanges-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, l'intérieur de la Lanterne -CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, l’intérieur de la Lanterne -CC BY-NC Jacques BOUBY

Nous voici à l’intérieur de la Lanterne à partir des terrasses, où l’on voit que dans son noyau central, s’inscrit une petite vis simple, qui surmonte et prolonge jusqu’au ciel le grand escalier. Pour le coup, c’est ici l’antre du mystère et de nombreux éléments de cet énigmatique grimoire (par exemple, ici, tous les F des caissons sont sculptés à l’envers, ne pouvant ainsi être lus que … du ciel) n’apparaissent qu’ici et n’étaient vus que par le roi et quelques rares invités. En 1539, François 1er autorise l’ennemi héréditaire, Charles Quint à traverser la France pour aller mater une révolte dans les Flandres. A Chambord où le donjon est déjà terminé, on s’active, on fait poser les vitrages, on planque les gravats, on installe des tapisseries partout, on dore les plombs des lanternons à l’or fin : réception gigantesque, lumières partout, musique à flots, feux brûlant dans toutes les cheminées, sans bien sûr oublier des rangées de jeunes filles, dévêtues comme des nymphes et lançant des pétales de roses… car fort habilement le roi a fait passer Charles Quint par Chambord, pour l’éblouir et le stupéfier et… le fit tomber à la renverse. Il confiera, peu de temps après à sa sœur Marie de Hongrie, n’avoir « jamais rien vu de plus beau que ce palais surgi du fond des bois ».

On l’imagine ici, au pied du lanternon en forme de… couronne impériale, (photo ci-dessous), le Carlos Quinto, la tête tournoyante de toutes ces énigmes de pierre et gravissant encore 20 mètres dans cette spirale que l’on ne peut voir (photo ci-dessus) que de l’extérieur, l’ascension étant proscrite des visites. Paraît-il que certaines sculptures fort signifiantes, bien qu’à l’extérieur, ne peuvent se voir que de l’intérieur de cet escalier ! On comprend que certaines soient complètement passées inaperçues pendant… 500 ans.

Château de Chambord, la Lanterne -CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, la Lanterne -CC BY-NC Jacques BOUBY

Il faut s’y résoudre, ce n’est pas ici un château, pas un palais, c’est une Basilique, une Cathédrale et son clocher, terminé par cette fleur de lys pointant les cieux avec l’inflexion d’une CROIX.

A partir du moment où l’on comprend que l’édifice est configuré plus comme un temple que comme un château en croix grecque, plus religieux que profane, la symbolique du grand escalier devient lumineuse : il est le lien entre la Terre et le Ciel, il joint le bas et le haut, le temporel et le spirituel.

Il rejoint la multiplicité des efflorescences allégoriques de l’échelle, du paradis de Dante à l’échelle de Ré des Egyptiens pour voir les dieux, en passant par l’échelle de Jacob où montent et descendent âmes et anges, renouant dans la pierre avec les pyramides de nombreuses civilisations qui tentaient toutes d’escalader le ciel.

Escalier autel, potomitan, incantation spiralée inscrite dans l’immobilité intemporelle de la pierre, noyau et turbine folle qui ne mène nulle part ! Ici bas !

Château de Chambord, face sud - CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, face sud – CC BY-NC Jacques BOUBY

Cette photo illustre bien la disposition aérienne de cet ensemble prestigieux, ésotérique ou tout au moins fort énigmatique, auquel ajoute ce silence religieux de fin de soirée enfin désertée des touristes. Elle permet aussi une grande lisibilité de la disposition d’ensemble : ceinture basse laissant apparaître le carré du donjon, sa partie basse sobre et austère, et la dominant, ce village aérien fantaisiste, levantin ? ; à gauche, l’aile de la chapelle et son escalier d’accès, à droite, l’aile de François 1er et son escalier d’accès.

Château de Chambord, Terrasses illuminées-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, Terrasses illuminées-CC BY-NC Jacques BOUBY

Et que dire de l’impression que cette onirique Jerusalem céleste de l’Apocalypse suscite dans les ombres de la nuit ! Fantasmagorique !

Château de Chambord, Terrasses illuminées-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, Terrasses illuminées-CC BY-NC Jacques BOUBY

Vrai ! le «discours» de Chambord nous a plongés dans une perplexité énigmatique et nous a exhaussé plus que tout autre château à un ressenti, une émotion jubilatoire face à cette secrète mais envoûtante métaphore cosmique et combien est profond le judicieux commentaire de Marguerite de Valois – la « dixième des muses » et « la perle des Valois » si fine, spirituelle, lettrée et cultivée (cf Clos Lucé) – adressé à François 1er son frère : « Voir vos édifices sans vous, c’est un corps mort, et les regarder sans ouïr sur cela votre intention, c’est lire en hébreu ». Il lui manquait, comme à nous, la grille de lecture… que seul le concepteur détenait.

Château de Chambord -CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord -CC BY-NC Jacques BOUBY

Car il n’y a aucun doute. C’est bien François 1er l’architecte utopiste, passionné et tenace de Chambord avec ses reprises, repentirs, démolitions, modifications incessantes…

Et Leonardo Da Vinci ? clamèrent-ils en choeur !

🔎 Certainement pas lui, pas Leonardo da Vinci ! Notons d’ailleurs que cette thèse dont aujourd’hui on nous rebat les oreilles ne vit le jour qu’en 1913 sous la plume de Marcel Reymond. Mais je ne m’explique pas pourquoi certains l’entretiennent mordicus aujourd’hui et j’ai pu entendre et lire qu’ils n’en démordent pas et le touriste heureux et consentant gobe ce fake news supplémentaire, témoin cette récente émission consacrée à Léonard de Vinci où le Stéphane B. National s’est obstiné toute la durée de l’émission à nous distiller ses commentaires du haut des tours de Chambord créant ainsi et entretenant… volontairement l’équivoque. La tête leur tourne à (presque) tous, à l’envers, à cause, sans doute, du fracas du marketing autour du 500è anniversaire de la mort d’icelui . À moins qu’on ait encore besoin de nouveaux dieux ! Et… thaumaturges, s’il vous plaît !

Léonard de Vinci n’y est pour RIEN, dans le projet de Chambord. Aucun projet, aucune trace dans les dessins du Maître, pourtant pas avare de crayonnages divers, d’ébauches et de croquis multiples, témoin cet énorme projet avorté du château de Romorantin, une nouvelle Rome, qui occupe plusieurs feuillets du Codex Atlantico. Il est mort plusieurs mois avant le tout début des travaux de Chambord et le roi ne l’avait pas revu depuis 14 mois et ne le reverra plus, en dépit de cet autre fake news dénoncé à Amboise (cf Amboise 2 )

Le vrai problème est que les archives de la construction de Chambord ont disparu, JETÉES, carrément, au XVIIIè siècle par… manque de place, si ! si ! après le rattachement de la Chambre des comptes de Blois à la Chambre de Paris ! d’où le vide propice à toutes les élucubrations possibles, surtout chez les plus ignorants !

Château de Chambord -CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord -CC BY-NC Jacques BOUBY

Avant Da Vinci, certains ont attribué les plans de Chambord à : Vignole, Le Primatice, Le Rosso, puis Dominique de Cortone, qui lui, a reçu avec certitude un paiement pour la fabrication d’un modèle en bois du château de Chambord, une maquette aujourd’hui disparue mais que Félibien décrit avec minutie.

Si la question vous obsède, il faut lire André Félibien et ses Mémoires (chiantes ! Même en extraits !) d’autant que le seul croquis du Château qui nous soit parvenu est le sien (1681). Félibien est le seul à avoir vu, peut être, cette maquette de Cortone «modelle de bois assez bien taillé», mais «tout rompu et gasté de pourriture», où l’on découvre, entre autre, que le fameux escalier à 2 rampes a été source de bien de modifications, d’ajustements et réajustements.

Et je note cette phrase fort claire : « Aussytost que François 1er eust arresté le plan et les élevations de cette magnifique maison, il commença d’y faire travailler. »

OK, OK ! mais… l’escalier, clamèrent-ils en choeur ! ???

En vérité, Léonard de Vinci n’y est pour RIEN non plus, ou presque…

Car déjà, bien avant lui, le siennois Francesco di Giorgio Martini, peintre, sculpteur, architecte auteur d’un Traité d’architecture, rédigé vers 1480, ingénieur militaire, inventeur en tout genre… a rempli ses carnets de notes et croquis d’engrenages, de vis sans fin, de crémaillères, d’escaliers, d’engin de guerre et Cortone le « faiseur de chasteaux » connaissait parfaitement ces travaux (ainsi que les écrits de Vitruve, d’ailleurs).

De plus, l’escalier de Vinci à quadruples rampes qu’on nous remontre sans cesse et… à tout instant comme étant le projet léonardien de Chambord n’a… RIEN à voir avec celui de Chambord. Orientant l’ascension vers des directions différentes il est conçu pour séparer, disperser, c’est l’escalier de l’évitement de la discorde alors qu’à Chambord, c’est celui du regroupement, de la cohérence, de la concorde, de la turbine matérielle et spirituelle. Même le concept est différent, et, ne parlons ni de l’esthétique, ni de sa réalisation jusqu’à son sommet céleste ! Par delà les toits et les terrasses.

Mais alors ? clamèrent-ils en choeur ! ???

Alors ? Pourquoi ne pas évoquer les maîtres maçons Sourdeau, Trinqueau, Jehan Gobereau, Loys Amanjar, Coqueau, Antoine de Troyes et bien d’autres, leurs conseillers, chefs d’équipe de maçons, «architecteurs» capables de dessiner des croquis techniques et précis selon les besoins et les interrogations. Experts et renommés, ils oeuvrent dans tous les châteaux de France, tous les escaliers, eux ! avec leur cohorte d’ouvriers français et italiens ! Et… n’ont pas attendu Léonard… en fin de vie et… impotent ! Bien qu’on ne sache pas grand chose d’eux, ils apparaissent dans tous les textes et ont des noms… bien français.

En vérité je vous le dis, ce chef d’oeuvre de pierre surgi des marais est bien une entreprise collective, générée par l’ambition du roi-architecte à la fois commanditaire et concepteur génial : François 1er . Cocorico 😜

Château de Chambord, face nord ouest -CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Chambord, face nord ouest -CC BY-NC Jacques BOUBY

Et voilà. Terminons ce périple et ce Carnet de Voyage des Châteaux en Pays de Loire par cette dernière vue au soleil couchant.

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