Premières rencontres dans la nuit

Bon ! C’est quoi le Theyyam ? L’affaire est entendue : un humain ( kolam ), appartenant à une certaine communauté, plutôt de la strate la plus basse des Castes, les Dalits (intouchables !), longuement préparé physiquement, culturellement et intérieurement va peu à peu se métamorphoser en divinité THEYYAM et animer une soirée, voire une nuit de culte, charge transmise de père en fils ou d’oncle à neveu si la communauté concernée est matriarcale.
Départ 19h30 après le repas vers THOTTADA Village, au temple Kanoth. Circonvolutions dans une campagne noire, inhabitée, à peine rassurante.
Recherche du Kaavu, petit sanctuaire de forêt, loin des grands temples, parfois simple cabane qui peut même appartenir à une famille, enclos boisé qui ne devient sacré que le temps du rite. Faut donc connaître !!! Merci à Prakash notre fixeur !!!

La foule des fidèles silencieuse et recueillie est déjà massée sur l’aire dévolue ( le kalari ) entourant le Kaavu. Tranquille, dans une atmosphère de ferveur indéniable qui saisit.



Première surprise ! Bien que tout le monde soit pieusement rangé autour de l’enclos du Kaavu, nous sommes autorisés à déambuler directement sur la surface du kalari, toutes chaussures ôtées : sans doute sommes-nous perçus comme… transparents dans cet étrange rite dont les enjeux et le dédale nous concernent si peu, nous, étrangers.
On a dressé dans l’enclos des cabanes pour le dortoir, la cuisine et l’entrepôt des masques et autres oripeaux nécessaires et lieu aussi de séances de maquillage.

C’est la phase des préparatifs. Les vêtements, ornements et objets cérémoniels utilisés pour le Theyyam proviennent exclusivement de matériau naturel. Ainsi peut-on voir ici le tressage de la robe constituée de feuilles de cocotier dûment émincées.



Les peintures faciales sont très élaborées car, c’est un aspect crucial de la future transformation de l’homme en dieu !
Nous avons vu à l’école de KALAMANDALAM, plus bas dans la région de Cheruthuruthy, des apprentis en train de s’exercer, sous la direction de maîtres réputés, d’abord et longuement sur des poteries avant de passer au visage.




Ici, utilisation du curcuma… et ci-dessus, de la pâte de riz pour le blanc…

Mais le crépitement enragé des tambours, soudain annonce le début de la cérémonie. Il s’agit des Chendas : incontournables !

Apparaît le Vellattam = Forme mortelle du Theyyam (sans port de la coiffure). Il s’agit d’une étape préliminaire, qui précède et prépare la représentation du Theyyam.


Dans ces cérémonies préliminaires au Theyyam, on peut remarquer que KUTTYCHATHAN VELLATTAM, avatar de SHIVA ne porte qu’un costume modeste et un maquillage minimal, il n’est pas habillé comme une véritable divinité. Disons qu’il est une version simplifié du Theyyam à venir mais que cette phase préparatoire est indispensable, nécessaire, même.


On peut voir que des marques décoratives, ou des ornements ou des accessoires (petites cymbales ( ilathalam ), sceptres) et toute une panoplie d’objets cérémoniels sont ajoutés progressivement au cours de la cérémonie.

Sur ces petits autels multiples, sont disposés des symboles rituels tels ces éléments végétaux, chaque substance participant à une connexion avec le divin, beaucoup entrant dans la symbolique de la purification, de l’hommage et de l’invocation aux pouvoirs spirituels.


S’en suit une grande déambulation dans le périmètre du Kaavu, ponctuée de paroles, chants monodiques, gestes d’imploration et toujours bruyamment ponctués par les rafales des chendas.

La chorégraphie paraît plutôt austère, simpliste, je dirais et sans fioritures mais engendre le même silence recueilli de la foule qui à coup sûr capte des signes et des références qui nous laissent parfaitement SOURDS !
Soudain tout se tait. C’est la pause et KUTTYCHATHAN VELLATTAM est à l’instant entouré de fidèles qui s’approchent respectueusement, avec parfois des offrandes (riz, noix de coco, argent, fleurs).

KUTTYCHATHAN bénit les fidèles, impose ses mains sur leur tête, trace des signes sacrés sur leur front, les conseille, les réconforte ?
J’en profite pour faire quelques portraits, merci Doudoue pour la photo...









Tiens, voici les percussionnistes de Chendas au repos.

Attention, ces batteurs de Chenda sont des percussionnistes experts, formés dès leur plus jeune âge et parfois dans des écoles spécialisées comme l’école de KALAMANDALAM, dont j’ai parlé plus haut. Sans omettre leur extraordinaire endurance à jouer jusqu’à des nuits entières.

Mais, savez-vous qu’ils appartiennent TOUS aux Dalits ? cette caste qu’en notre lexique on nomme les Intouchables ? Totalement discriminés et marginalisés dans leur vie sociale… alors qu’ils sont ici entièrement habités par le Divin dans leur performance et leur rôle majeur dans le Theyyam !

Voici le Chenda, ce grand tambour cylindrique que l’on frappe avec deux baguettes, fait de bois de jacquier ou de manguier et recouvert de peau de buffle ou de bœuf tendu.
Au vu ou plutôt à l’ouïe de ce que l’on vient de vivre, le jeu de ces tambours est véritablement l’âme de la Danse et son Guide énergique et puissant. Que n’ai-je pensé à mettre des boules Quiès 😄 moi qui passe mon temps à les photographier et à les suivre, tant ils sont toujours au COEUR de l’action ! Au risque d’y laisser mes deux tympans !
Mais voilà que crépitent à nouveau les battements secs et puissants qui communiquent pour annoncer à la foule un moment clé du rituel, l’entrée en scène du Theyyam nouveau.


Malgré un raffinement exceptionnel du masque, c’est toujours un Vellattam, GULIKAN VELLATTAM. Comment je le sais ? Il lui manque le Mudi, l’impressionnante, voire monumentale coiffure qui exaltera et consacrera sa transformation en Dieu, en THEYYAM. En vérité la forme définitive du theyyam n’apparaîtra que le lendemain dans son épiphanie.

Attention tout de même ! Vellattam ne signifie pas sous-produit : ce Gulikan rouge vif à l’impressionnant plastron est la manifestation du dieu Yama, le dieu hindou du destin et de la mort. Gardien des Enfers.
Bien que largement antérieur à l’Hindouisme et plutôt généré par une vision chamanique des sociétés primitives du Kerala il y a peut-être 2000 ans, 3000 !? des syncrétismes se sont opérés incluant peu à peu dans les rites du Theyyam des pans de la mythologie hindoue. Ainsi des divinités du panthéon védique et puranique ont progressivement fusionné avec les figures sacralisées des cultes locaux.
Je note qu’une foule plus dense, plus pressante, accompagne le cortège, toujours en silence, dans sa pénétration vers le périmètre sacré du kalari.

Le programme paraît semblable : une marche processionnelle rythmée par les chendas, entrecoupée de pauses, que viennent ponctuer des exhortations, des chants, des psalmodies, de menus rituels avec des substances végétales et tout une gestuelle plutôt sobre. Jusqu’au Kaavu, où s’opère un rite plus soutenu.

Et, tout comme dans la première prestation, après avoir sacrifié devant l’autel du temple et exécuté une danse rituelle, le Theyyam va s’immobiliser pour se rendre disponible à tous : répondre aux questions, et prendre les fidèles sous sa protection.
Retour dans la nuit, encore plus noire mais… les yeux envahis de lucioles et les oreilles emplies de crépitements ! Et… 300 photos dans les boîtiers !