GULIKAN THEYYAM
Nous revoilà partis dans la nuit d’encre sur les coups de 3 heures du matin vers Thalassery, à la rencontre d’un nouvel espace boisé et son Kaavu, “ le Lieu et la Formule “, où GULIKAN THEYYAM est en pleine préparation de sa transmutation en divinité.
Nous arrivons pour les derniers préparatifs qui vont assurer et garantir la métamorphose de l’acteur humain en divinité THEYYAM
On peut noter le raffinement des éléments décoratifs de la tête, des avant-bras, des poignets, des pieds, le visage et le buste étant recouverts de poudre et pâte de riz
Mais voilà que l’on approche l’impressionnante coiffure, haute de 5 à 6 mètres de haut, afin de l’installer et de l’équilibrer sur la tête de l’officiant. C’est le Mudi qui vient consacrer le passage définitif de l’être humain en divinité. Il est l’élément clé de l’incarnation de la divinité.
Armature impressionnante de bambou recouverte de feuilles de cocotier artistiquement découpées. Sa hauteur considérable (qui le fait nommer « Kundamudi » ) nécessite plusieurs assistants pour le positionner sur la tête tout en le maintenant en équilibre.
A noter que c’est devant le sanctuaire, devant le Kaavu, que s’opère la cérémonie, emplie des chants invocatoires du thottam.
Pour parachever la métamorphose et l’épiphanie de GULIKAN, un masque fera entièrement disparaître le reste d’humain : le visage.
Comme tout le reste des éléments de la métamorphose, les matériaux et les couleurs utilisés sont totalement naturels, restes sans doute de l’imbrication parfaite de l’homme et de la nature dans les sociétés chamaniques primitives.
Il est évident que la taille et l’importance du Mudi reflète la puissance du Theyyam ici incarné : GULIKAN, comme on l’a vu, associé à la mort et à la justice divine et inspirant crainte et dévotion.
Et là, face au temple, juché sur deux tabourets sacrés superposés, le mortel se regarde dans un petit miroir tenu à la main.
Ce regard jeté au miroir achève la métamorphose de l’homme et atteste de sa nouvelle identité de Theyyam. La frontière est franchie, le monde humain et l’univers divin se sont connectés et le Theyyam en est le medium.
Les chendas crépitent furieusement et se taisent soudain, laissant s’exhaler le chant invocatoire du thottam, psalmodié par les assistants, qui relate l’origine mythologique, les exploits et le pouvoir sacré de la divinité incarnée.
En accord avec la chorégraphie du Theyyam, voici le Kuzhal (mi flûte mi hautbois) qui suit le rythme des chendas et module de sa note aigüe l’atmosphère sacrée de la transe.
Et la danse rituelle peut commencer. Par un véritable défi, d’ailleurs, lorsque Gulikan grimpe sur des échasses et va évoluer ainsi sur le kalari.
Et, comme à chaque fois, le rituel s’arrête, le ressac des chendas reflue, le Theyyam s’immobilise sur un siège sacré devant le kaavu, et reçoit un à un les fidèles, les bénit, écoute leurs doléances, délivre des conseils, des oracles.
On ne peut oublier que ces divinités sont considérées comme faisant partie intégrante de la vie quotidienne des populations, influençant leur bien-être, leur santé, leur prospérité et leur cheminement spirituel. Le Theyyam est une passerelle ouverte vers ce monde parallèle mais invisible, un moyen, par ces rites, ces offrandes, cette vénération, d’obtenir du Sacré, bénédictions, protection et conseils de ces entités divines, conviées à revenir parmi les humains le temps du Theyyam.
Et c’est vrai que la vie est bien triste et navrante depuis que les dieux ne rôdent plus sur la terre.🤪
C’est la pause, le calme s’est installé, il est 5 heures du matin. Certains se reposent après les trépidations fatigantes de la journée et tout le monde est d’une extrême bienveillance pour le photographe qui continue à chaparder quelques visages…
Là sous les néons de cabanes récemment dressées, on prépare l’épiphanie d’un nouveau Theyyam. Le maquillage du visage terminé, tous les accessoires sont un à un ajustés y compris la grande robe végétale, contribuant à gommer soigneusement toute trace d’humain.
On peut noter que déjà sont disposées dans la robe les étoupes que l’on imprègnera d’huile et que l’on enflammera lors du rituel.
Et voilà qu’un plastron avec des seins est posé. Il s’agit donc d’un Theyyam féminin ? Et représenté par un homme ?
On pourrait se demander si, comme souvent, le fait d’exclure les femmes n’est pas qu’un simple préjugé misogyne ancestral et tenace. Il semble que ce soit la nature des performances redoutables à accomplir et non le jeûne, l’ascèse stricte et autres préparations et exigences relevant davantage de la discipline monastique, qui désigne les hommes plus aptes à incarner les theyyam y compris féminins. En effet aux exigences physiques de la longue (2 mois parfois) préparation à la Cérémonie, s’ajoutent les performances impressionnantes durant le rituel : porter des heures durant des coiffes monumentales, réaliser des danses toute la nuit, des chorégraphies issus directement des arts martiaux, marcher sur des braises… toutes prouesses physiques qui désignent plus naturellement les hommes pour le rôle.
Voici donc dans son écarlate parure, la terrible déesse KARAYIL BHAGAVATHY ( terme qui signifie simplement « Déesse » )
Documenté et passionnant me permet de découvrir le sens profond de ces cérémonies que j’ai vues, bien souvent en simple touriste. Merci, merci du fond du cœur.