CHATEAU et Cité de LOCHES
Au XVIè siècle, Loches, qui revendique fièrement plus de 1000 ans d’histoire, tient un rôle majeur en Touraine, comparable au pouvoir d’Amboise, de Blois et de Chinon.
En particulier, le lien avec Chinon est évident par le trio Charles VII qui affectionnait ce lieu autant que Chinon et y voyait une résidence rassurante, Jeanne d’Arc venant l’y retrouver pour le presser d’aller se faire sacrer à Reims et … Agnès Sorel, installée ici, décédée ici, à 28 ans et enterrée ici.
Notons aussi que si Charles VIII était entiché d’Amboise, Anne de Bretagne goûtait fort Loches et y attira même assez longuement son deuxième mari, Louis XII. Inutile de dire que François Ier le Magnifique bouda le maigre et étriqué logis royal de Loches.
Nous, nous lui avons trouvé beaucoup de charme et… le fait que l’aire des Camping-car, tout près de la gare, soit quasiment au coeur de la ville n’y est pas pour rien ! Tout autant que la splendide lumière-de-photographe baignant la cité ! Et… que nous y avons trouvé une SURPRISE. Si fait!
A gauche, la Tour Agnès Sorel. On voit bien de gauche à droite, la partie Gothique du château et moitié de droite la partie Renaissance nommé «Logis-Neuf»
Vue de l’extérieur, la massive Porte des Cordeliers quadrangulaire, percée à sa base d’une porte charretière en plein cintre, avec ses deux tourelles en encorbellement aux angles reliées par un chemin de ronde équipé de créneaux et de mâchicoulis.
On voit les rainures des deux ponts-levis sur le bief de l’Indre qui protégeaient le passage. Notez la fenêtre à meneau au tympan du gothique flamboyant. À droite, sommet de la Tour Saint Antoine.
Vue de l’intérieur, la Porte Picois construite au XVè siècle, percée comme les autres portes dans la courtine qui protégeait la ville médiévale, avec sa porte charretière en arc brisé. Là aussi, herse et pont levis protégeaient le passage.
Le donjon roman (daté de l’an Mil), noyau de la forteresse est l’un des plus imposants et plus anciens d’Europe, le donjon cylindrique étant apparu plus tard.
On doit aux auteurs romantiques du XIXè siècle, ces grands nostalgiques de la chevalerie féodale, sombre et effrayante, l’image terrible de Louis XI qui a transformé ce donjon en prison. Dans Notre-Dame de Paris, Victor Hugo relate l’existence de cages utilisées sous Louis XI, les « fillettes du Roy », de bois et de fer volontairement exigües dont « La porte était une grande dalle de pierre plate, comme aux tombeaux. De ces portes qui ne servent jamais que pour entrer. Seulement ici, le mort était un vivant. »
A la suite de Hugo de nombreux romanciers racontèrent avec grande complaisance les affreux tourments que Louis XI « tyrannique et arbitraire », faisait endurer à ses prisonniers, certains même de haut rang, il est vrai, dans ces « fillettes du Roy ».
Ces racontars et bien d’autres (ne se serait-il pas abreuvé de sang de nourrissons pour vaincre sa maladie ?!) ont «obligé» de nombreux historiens contemporains à travailler à la dédiabolisation du personnage de Louis XI.
NB : Louis XII, a fait incarcérer ICI Ludovic Sforza duc de Milan, oui, oui, le premier mécène de Léonard de Vinci.
Collégiale Saint-Ours, en travaux importants de réhabilitation des murs de tuffeau dégradés à l’intérieur et à l’extérieur par les infiltrations d’eau.
NB : Saint Ours !? Encore un saint au nom sonnant peu … catholique. Eh bien, sachez que cet OURS, ermite (sic), originaire de … Cahors (eh oui!) fuyant le doux Quercy, persécuté par le roi Visigoth Euric est venu se fixer ICI. À la deuxième moitié du V è siècle.
Collégiale Saint-Ours de Loches où se trouve désormais le gisant de la « noble damoyselle Agnès Seurelle en son vivant dame de Beaulté » en albâtre sur son socle noir. Profané et brisé menu pendant la Révolution, le tombeau est réhabilité, sculpté très finement, dans le délicat drapé de sa robe longue. Après avoir connu cinq emplacements successifs, il est réintégré en 2005 à la collégiale, conformément aux dernières volontés de la défunte.
🔎 Mais, quel est donc ce «flux de ventre» qui l’emporta à 28 ans ?
A l’occasion du transfert des restes d’Agnès Sorel, du Logis Royal à la collégiale Saint-Ours, une étude scientifique a été réalisée en 2005. Cette étude, confiée à de nombreux spécialistes réunis autour du Dr Philippe Charlier, rassembla 22 chercheurs de 18 laboratoires, pendant près de 6 mois. Fut révélée, entre autres, une très importante concentration de mercure sur les poils, les cheveux, les cils… Agnès souffrait en effet d’une infection parasitaire que l’on traitait alors couramment au sels de mercure, lequel était également utilisé pour soulager les femmes enceintes.
OK, OK ! Mais le dosage trouvé est de… 100 000 fois supérieur à la norme !!! Difficile donc de croire à une erreur médicamenteuse !
Si l’assassin ne court plus, trois suspects potentiels sont désignés : le dauphin Louis, futur Louis XI, qui ne la supportait pas. Antoinette de Maignelais, la cousine germaine et sa dame de compagnie, âgée de 16 ans, grosse jalouse et .… Jacques Cœur, grand argentier du roi et … l’ exécuteur testamentaire d’Agnès, qui sera d’ailleurs emprisonné.
Mais étonnamment, voici la conclusion du Docteur Charlier « Cependant, il semble exister un suspect idéal : Robert Poitevin, médecin du roi, mais aussi médecin d’Agnès, l’un de ses trois exécuteurs testamentaires, et celui qui avait accès aux simples et pouvait transformer une drogue en poison.» !!! Et le commanditaire, alors ?
Voici une vue d’ensemble du Logis royal. A droite le sommet de la Tour Agnès Sorel, à gauche sommet de la Tour Saint Antoine
Salle Charles VII, dans la partie la plus ancienne du Vieux logis.Tout le monde connaît ce portrait de Charles VII « le petit Roy de Bourges » (ici copie du tableau du Louvre), de Jean Fouquet, réalisé vers 1450-1455, exemple unique de portrait royal pour cette période. Il figurait dans tous les manuels d’histoire, et … l’on regrettait même que ce visage un peu veule au si vilain nez ne soit pas plus … ROYAL.
Carrure (impressionnante) de face et visage de 3/4, à mi-corps, ce tableau paraît fort réaliste, loin de l’effigie majestueuse et triomphante que nous connaissons chez d’autres souverains. Seule l’inscription en haut et en bas du cadre « Le très victorieux Roy de France / Charles Septiesme de ce nom », ôtée dans mon cadrage, nous rappelle que cette petite tête à joli chapeau, émergeant d’un immense et large manteau rouge, aux yeux vagues de camé, au visage peu éblouissant et aux badigoinces bien flasques a mis fin à la Guerre de Cent Ans et à l’instabilité politique du royaume de France !
Toujours dans le vieux Logis, exemplaire des Grandes Heures d’Anne de Bretagne (1503-1508) de Jean Bourdichon, peintre et enlumineur au service de 4 rois : Louis XI, Charles VII, Louis XII et François 1er. Je vous ai déjà conté (cf envoi n°18, TOURS 2 / et envoi n°17 ) que ce n’est qu’en 1868 qu’on a pu, grâce à la découverte à Lyon, d’un ordre de paiement, signé par la Reine, attribuer enfin à Jehan Bourdichon, ces incomparables et éblouissantes « Heures » pour Anne de Bretagne, et bien d’autres manuscrits enluminés qu’on avait l’habitude d’attribuer à Jean Poyer, son contemporain. (voir Photo plus bas)
Notez la beauté de ces images d’ouverture, l’utilisation de l’or et bien sûr du lapis-lazuli (7 fois le prix de l’or, on l’a vu à Beauregard .) L’idéalisation du portrait d’Anne représentée en prière en ouverture du recueil et les armoiries multiples confirment l’intention de Bourdichon d’honorer hautement sa commanditaire. Notez bien qu’un ouvrage pareil n’était pas à la portée du premier notable venu, le coût équivalait à une somptueuse demeure !
Le narratif religieux des prières et de l’iconographie traditionnelle ne dispense pas de l’illustration du monde réel : 300 bordures fleuries en marge du texte émaillent le splendide ouvrage : un véritable herbier, toutes espèces nommées en latin et en français avec la scrupuleuse exactitude d’un botaniste.
C’est Jean Poyer effectivement qui les a peintes, connaissant et honorant la passion d’Anne de Bretagne pour les plantes et … qu’elle faisait cultiver avec bonheur dans son jardin du château de Blois.
Salle Agnès Sorel, Logis neuf. Voici exposée ICI, dans l’aile Anne de Bretagne une copie du portrait, le plus célèbre de la belle, réalisé par Jean Fouquet vers 1453 dans cette cette Vierge à l’enfant. En fait il s’agit d’un diptyque qui ornait autrefois à Melun le tombeau d’Etienne Chevalier, trésorier du roi de France, et ami d’Agnès Sorel dont le peintre a reproduit les traits.
Cette magnifique Agnès Sorel fut un véritable coup de tonnerre dans le paysage politique, car jusqu’à présent, les rois de France gardaient une certaine « discrétion » avec leurs favorites. Complètement entiché de sa «dame de beauté» Charles VII bouscula, à Loches, les convenances. Il autorise la jeune fille à siéger au conseil (une première pour une jeune demoiselle d’une vingtaine d’année !), elle vit au logis, se comportant telle une reine sans couronne. Pour la première fois dans l’histoire, Charles VII reconnaît officiellement ses trois filles nées de sa passion avec Agnès. La descendance, notamment de Charlotte de Valois, est connue et tout à fait édifiante !
NB Le petit fils d’Agnès Sorel épousa une certaine … Diane de Poitiers !
Incroyable modernité de cette peinture (volet de la Vierge) par la sidérante géométrisation des formes et l’extrême simplification de la gamme chromatique.
PS Je n’ai pas vérifié si Jean Fouquet était aussi l’inventeur des prothèses mammaires.😜
Je vous montre là le diptyque original, que j’ai photographié à la Gemäldegalerie à Berlin. En vérité, il n’y a à Berlin d’original que le volet de gauche : le commanditaire, Etienne Chevalier agenouillé (pour lequel Fouquet a aussi décoré un Livre d’heures ) et les mains jointes en prière qui est présenté à la Vierge (peinte sur l’autre panneau) par son saint patron, saint Etienne. L’original du volet de droite donc la «Vierge et l’Enfant entourés d’anges » est au Musée royal des Beaux-arts d’Anvers, où, JOIE ! nous devions être il y a un an !!! Hélas, Covid et Consternation !
Mais, savez-vous que nous apprîmes que le Musée, en travaux depuis déjà septembre 2011 (!) et qui devait ouvrir en 2019 n’ouvrirait pas avant… 2022 ! Felix culpa. Cependant, je l’ai déjà dit, nos jours déjà fuyants, deviennent très courts ! Je ne sais pas où se trouve à présent la Vierge-Sorel !
Etienne Chevalier, administrateur des finances royales et des domaines royaux, faisait partie du premier cercle d’Agnès Sorel, et on suppose bien entendu que ce portrait d’Agnès-Vierge (!?) ne put se faire sans l’assentiment du roi son amant.
🔎 NB son influence politique ??? De nombreuses et tenaces légendes exagèrent le rôle d’Agnès Sorel auprès du roi. Elle aurait, par ses exhortations et ses reproches rendu courage au roi. Et fait sortir icelui de sa torpeur honteuse.
Et nous revoilà avec Brantôme qui va faire d’elle l’instrument qui va permettre de poursuivre la guerre contre les Anglais. Il écrit :
« … le roi Charles VII, amouraché d’elle et ne se soucier que de lui faire l’amour, et, mol et lâche, ne tenir compte de son royaume. Elle lui dit un jour que lorsqu’elle était encore jeune fille, un astrologue lui avait prédit qu’elle serait aimée et servie par l’un des plus vaillants et courageux rois de la chrétienté… et quant le roi l’aimât, elle pensait que ce fut ce roi valeureux qui lui avait été prédit.»
Et Brantôme poursuit le récit en affirmant qu’Agnès voyant ce roi si mou et lâche, pensait qu’elle s’était trompé et que le roi valeureux, c’était en fait le roi d’Angleterre, lequel « lui prenait tant de belles villes à sa barbe, donc dit-elle, je m’en vais le trouver, car c’est lui duquel entendait l’astrologue. Ces paroles piquèrent si fort le cœur du roi qu’il se mit à pleurer et prenant courage, prit le frein aux dents, si bien que, par son bonheur et vaillance, chassa les Anglais de son royaume ». Et voilà le Fake news repris en choeur per secula seculorum.
En vérité, femme frivole, comblée de bijoux, d’argent, de vêtement luxueux, elle n’avait de plus grande préoccupation que de travailler assidûment à la protection et à l’avancement de sa famille et amis et de mettre en place autour d’elle un cercle de personnages de haut niveau, et de grande valeur, issus de tous les milieux, nobles, clergés, et des bourgeois comme Jacques Cœur. Là est peut-être le secret de son influence sur les affaires d’état !
A la galerie Antonine, adossée à l’église Saint Antoine, Retable (de la chartreuse) du Liget, définitivement attribué à Jean Poyer. Triptyque de près de 3 mètres de base relatant 3 épisodes de la Passion, séparés par d’étroites colonnes peintes d’or : Portement de croix, Crucifixion et Mise au tombeau, daté de 1485.
Notez la forêt de lances hérissées dans le ciel bleu, matérialisant la violence et l’acuité des souffrances, renforcée par le visage livide de la Vierge évanouie et brisée.
La précision des détails, la puissance des couleurs renvoient bien sûr à l’art minutieux de l’enluminure.
Attention, Jean Poyer n’est pas un insignifiant rapin, il était considéré comme l’égal de Jean Fouquet. Merveilleuses peintures où traîne un peu de Mantegna et… réussite photographique ! Non ??? Allez-y voir 😜
L’impressionnante Tour Saint Antoine qui domine le quartier de ses 50 mètres, reste le vestige et le clocher de l’ancienne église Saint Antoine du XVIè édifiée jadis à cet emplacement. Elle n’est ouverte à la visite qu’à l’occasion des journées européennes du patrimoine !
Mais ? Mais ? Et notre surprise ??? Allez, au prochain épisode !