TOURS 2
Outre la rue et la place du Grand Marché qui présentent de splendides maisons du XVè et XVIè aux façades d’origine, de nombreuses autres bâtisses émaillent différents quartiers du Vieux Tours.
Voici Jeanne d’Arc avec sa frêle armure jaune-étendard chevauchant défilant dans la Grande Rue médiévale et historique, qui traverse la vieille ville, de l’ouest par les rues Georges-Courteline, du Grand Marché, du Commerce, Colbert, Albert-Thomas, accompagnée de ses preux chevaliers …
et suivis de près par ses nobles ménestrels… marchant sans doute sur… Orléans et tentant d‘impressionner le Jupiter céleste, voire le bouter hors du royaume. Prendra-t-il grand peur et fuira-t-il promptement, ainsi que l’a prédit Messire Saint Michel l’archange ?
Le Musée des Beaux-Arts installé dans l’ancien palais des Archevêques, son cèdre séculaire et pour mémoire… Fritz, l’éléphant mascotte de la ville, immanquable mais… « empaillé »
Enfilade de salons aux parquets craquant délicieusement sous les pas.
A partir de 1793 il devient dépôt des œuvres d’art confisquées dans les maisons d’émigrés, églises, couvents, abbayes, châteaux, et notez bien que le musée est officiellement ouvert au public en … mars 1795 !
Vers 1800, le musée reçoit entre autres, ces incroyables chefs d’œuvre de Mantegna, deux panneaux provenant du retable de l’église San Veno de Vérone. Hum ! un peu volés par les armées de la République. Comment ? CONQUIS sur les ennemis de la République ! et distribués aux grandes villes par le décret du 14 fructidor an VIII.
Attention ! Il y a ici de nombreuses signatures illustres : Nattier, Boucher, Louis de Boulogne, Degas, Monet, Rembrandt, Rubens, Van Loo, Delacroix, Chassériau et des orientalistes… que nous ne verrons pas, le 2è étage étant fermé (euh ! pour cause de plafond écroulé !), pas plus qu’un, paraît-il, superbe « Agar et l’Ange dans le désert », de Pierre Peyron, Prix de Rome 1773.
On s’y étonne aussi de trouver une exceptionnelle collection de primitifs italiens, telle, qu’on se croirait à Sienne, au Museo dell’Opera del Duomo, par exemple ! C’est Octave Linet, peintre et collectionneur qui les a légués en 1963. (38 peintures et 12 sculptures).
Restauration remarquable de cette Crucifixion fort expressive du Maître de la Croix des Piani d’Invrea, Ligurie vers 1330-1340. C’est une étude, menée en 1996, qui a permis de rapprocher ce panneau de la collection Linet d’un groupe d’oeuvres attribuées à un artiste anonyme travaillant en Ligurie de 1320 à 1345 et auteur d’une Croix monumentale conservée à la chapelle du Castello Centurione des Piani d’Invrea près de Varazze. Notez que les yeux du mauvais larron et du groupe de personnages, à droite, au pied de la croix ont été crevés et creusés avec une pointe. Vandalisme symbolique ??? ou… représailles féministes 🤪
Giovanni di Paolo, 1398-1482 Sienne, La Vierge et l’Enfant. vers 1460. Le tableau était le panneau central d’un petit triptyque à volets mobiles. Notez le beau graphisme sombre de l’enveloppant manteau de la Vierge.
De la collection d’Octave Linet toujours, cette Mater Dolorosa, sur panneau de chêne, inspirée d’une oeuvre de Dirk Bouts et peinte dans l’atelier de son fils Albrecht Bouts vers 1500-1510. Belle à pleurer !
Ci-dessous La Vierge en Oraison, peinte … à Tours ! vers 1480 par Jean Bourdichon et son atelier, mains jointes, yeux baissés, magnifiquement bleu lapis-lazuli, sur le fond d’or recouvrant un panneau de noyer, renvoyant bien sûr à de l’iconographie byzantine. Si l’on ne peut, sauf chauvinisme tourangeau exacerbé, franchement parler d’une « École de Tours » il faut signaler et se réjouir de l’existence de nombreux peintres-enlumineurs à Tours, à la fin du XVè siècle, à commencer par les deux fils de Fouquet.
🔎 Jean Bourdichon, peintre et enlumineur au service de 4 rois : Louis XI, Charles VII, Louis XII et François 1er qui lui, put voir à Tours Jeanne d’Arc chevauchant vers Orléans à la tête de ses troupes ! Auteur, entre autres des incomparables et éblouissantes « Heures » pour Anne de Bretagne, qu’on avait l’habitude d’attribuer à Jean Poyet (voir extraits https://jacbouby.fr/2020/12/08/chateaux-en-pays-de-loire-7/ )
★ Savez-vous que ce n’est qu’en 1868 qu’on découvrit à Lyon, dans un lot de vieux parchemins, un ordre de paiement, signé par la Reine « à notre cher et bien aimé Jehan Bourdichon, painctre et valet de chambre de Monseigneur, la somme de mil cinquante livres tournois en six cens escuz d’or… tant pour le récompenser de ce qu’il nous a richement et somptueusement historié et enluminé une grans Heures pour notre usaige et service, où il a mis grans temps, que aussi en faveur d’autres services ».
Ce document fit soudain sortir Bourdichon de l’anonymat et, dans la foulée, permit de lui attribuer de nombreux autres manuscrits enluminés pour de prestigieux clients, en France et à l’étranger.
Toujours du Legs Octave Linet ce triptyque flamand anonyme de la Vierge à l’Enfant entre deux anges (panneau central) avec Saint Jean l’Evangéliste et Sainte Madeleine (panneaux latéraux). Notez l’architecture fantaisiste qui abrite la Vierge et ce mélange italianisant et gothique. Comme les grecs avaient l’acanthe et … en usaient, nous avons le choux frisé ! et à foison 🤪
Il y a de l’art de la miniature dans ce rendu précis des détails et… pas que les choux, zoomez sur le chapelet et la cordelière qui ceint la Vierge ainsi que sa couronne, entre autres !
Andrea Mantegna (né près de Vicence, 1431-1506), Le Christ au Jardin des Oliviers. A l’origine il s’agit d’un polyptique commandé par le monastère de San Zeno, à Vérone au jeune Mantegna, avant son départ pour Mantoue au service des Gonzague (je vous en ai parlé l’année dernière, souvenez-vous : la Chambre des Époux à Mantoue). Le retable, prise de guerre sur les ennemis de la République ( ?!!!) est démembré par les commissaires du Directoire. Sur les trois panneaux de la prédelle, deux seront envoyés ici, le troisième, celui du centre, « La Crucifixion » restera au Louvre (NB une copie en est réalisée par Degas et exposée ici : à contre emploi, le malheureux ! mais l’effort est notoire).
Et les trois grands registres supérieurs seront renvoyés à … Vérone en…1815. (Tiens ! Tiens ! C’est quoi ? cette date ???)
Forte composition organisée selon trois triangles emboîtés les uns dans les autres avec de nombreuses « passerelles » ! À gauche, triangle du mont Sion surmonté de la ville de Jérusalem. A droite, montagne de la Résurrection couleur de feu (montagne dont la base est reprise dans le deuxième panneau, la Résurrection (Photo 13). Triangle du mont des Oliviers, dans lequel s’inscrit un autre triangle : Jésus et les apôtres, avec Jésus en prière, dans son immobile intranquillité, au sommet d’une pyramide.
Dans la partie inférieure, nouveau triangle des trois disciples endormis : Jacques, Jean (son frère), et Pierre, transformés en… nature morte. Dans le ciel, l’ange qui présente la coupe amère de la Passion…
Notez le sentier serpentant qui relie le bas au haut (avec les soldats romains en armes précédés par Judas, le dos tourné) et la grande échancrure triangulaire du ciel et la clarté bleue de cette aube fatale, dans cet univers ocre terre. A gauche arbre fracassé, moribond, à droite, jeunes arbustes pleins de vie et de fruits.
Sachez, mais il est inutile que je présente ce que vous ne pouvez voir, le panneau mesurant un mètre environ, qu’une myriade de détails infimes enrichissent la toile, peints avec grande minutie.
Deux panneaux célèbres, chefs-d’oeuvre du musée, je pense. Et, on y tient ici ! En 1956, on envisage opportunément la réunion des 3 éléments constitutifs de la prédelle, à Tours. Mais le Louvre propose de les réunir… à Paris contre compensations. Refus catégorique de la municipalité de Tours. Non mais ! On se contentera donc du mauvais Degas pour la Crucifixion, mais on conservera mordicus les deux Mantegna !
François Boucher (1703-70) : Sylvie fuyant le Loup qu’elle a blessé. Personnage du drame pastoral du Tasse, « Amyntas » (1573). Le berger Amyntas aime la chasseresse Sylvie, vouée à Diane donc à la virginité. Attaquée par un loup (et c’est vrai qu‘elle est belle et rose à CROQUER !) qu’elle a blessé (sur le coin gauche inférieur), elle s’enfuit mais lâche son voile, qui se teinte du sang de l’animal… la suite est terrrrribile ! Sa course éperdue a le double intérêt notable de dégager une épaule onctueuse et potelée et un sein aussi confortable que moelleux et… de faire virevolter ses vêtements enchiffonnant son sillage de manière charmante. Notez la perversité du peintre qui montre son pied droit engagé sous une branche basse qui va, à coup sûr, la faire chuter… peut-être même fesses par dessus tête… c’est quand même du Boucher 🤪. Encore une saisie révolutionnaire au Château de Chanteloup en 1794. Viva la revolución !
Les Cinq Sens. Voici une série de tableaux d’un Anonyme français du XVIIè peints d’après les gravures d’Abraham Bosse Cinq toiles. Le thème des cinq sens est le plus souvent comme il se doit, prétexte à vanter les plaisirs de la vie : ici le Toucher (Tactus, dans le médaillon) et l’Ouïe (Auditus) ! Notez que, fort perspicace, la servante prépare le « couchage » et ouvre le lit, sachant déjà que le sens du toucher ne demande qu’à étendre son champ d’investigation. Vénus et Cupidon dans le tableau sur le mur en arrière plan annonçant le programme ! sans ambiguïté 🤪
Jean Raoux 1677-1734. Paris. Mlle Prévost en Bacchante, 1723. La danseuse Françoise Prévost née à Paris vers 1680 et morte dans la même ville en décembre 1741, s’imposera comme la vedette féminine de l’Opéra durant la Régence.
L’un des trois bronze de la Diane chasseresse (1776) de Jean-Antoine HOUDON, l’original en marbre qui appartenait à Catherine de Russie est aujourd’hui à Lisbonne. Diane fut refusée aux salons de 1775 et 1777 à cause de son » inconvenance » !
Cette toile est une très belle copie de la célèbre Baigneuse composée par François Lemoyne pour François Berger en 1724. Cette « Jeune femme prête d’entrer dans le bain, accompagnée de sa Suivante … » commencée à Rome est terminée à Venise. « L’on voit bien qu’il a su profiter de la veue des ouvrages de Paul Véronèse et surtout de ceux du Parmesan, dont il tâche d’imiter les tours gracieux… » écrit Mariette. Finesse de la représentation des chairs et délicatesse frissonnante du pied qui touche l’eau…
P.P. Rubens (1577-1640), voici la notice du Musée : Envoi 1803. Ex-voto : Vierge à l’enfant et donateurs. Alexandre Goubau et sa femme Anne Antoni. La Vierge, en haut à droite, porte une robe rouge et un manteau bleu. Les donateurs sont en bas à gauche. A la mort, en 1604, d’Alexandre-Jean Goubau, grand aumônier de la cathédrale N.D. d’Anvers, son épouse, Anne Antoni, commande à Rubens cet ex-voto destiné au monument funéraire du couple, situé dans la chapelle des maçons de la cathédrale. Rubens, qui était alors en Italie ne reviendra qu’en 1608. Il s’agit donc d’un portrait posthume du donateur.
Rembrandt Harmensz van Rijn (1606-69) : Fuite en Egypte (1625). Peint à 19 ans. Esquisse pour une œuvre jamais réalisée. Petit tableau format A4 qui est ce qu’on appelle un tableau de dévotion (à usage personnel et intime). Entrée au musée comme œuvre anonyme hollandaise. Rendue à Rembrandt en 1956 ; désattribuée en 1997 au profit de Gérard Dou. Tableau réattribué à Rembrandt en 2000. Ouf ! Petite œuvre de jeunesse traitée en clair obscur et particulièrement éloquente par ces pauvres réfugiés sur le sombre chemin de l’exil et … passant une frontière. Il s’agit de fuir une mort certaine (Je rappelle qu’Hérode a ordonné d’assassiner tous les nouveaux nés de moins de deux ans, sur son territoire !) Et la nuit, trouée par la lumière violente et basse d’un projecteur mordant les ombres, et inquiétant soudainement le visage de Marie et celui du baudet, rajoute à la menace de l’obscurité, leur expérience de la peur.
Il s’agit ici de l’une des nombreuses variantes de la Diane au bain de François Clouet, d’après l’originale conservée au musée des Beaux-Arts de Rouen et datée de 1558-1559. Bon ! Cela paraît limpide, il s’agit de la cruelle fable des Métamorphoses d’Ovide : le jeune Actéon s’enfonce au plus profond des bois et débouche à l’improviste dans la clairière où, près d’une source, Diane est en train de prendre son bain. Surprise dans sa nudité, l’ombrageuse déesse se venge immédiatement de l’indiscret en le transformant en cerf, condamné à périr sous les dents de ses propres chiens (scène en plan arrière en haut à droite).
Mais… voici quelques clés, de ces véritables portraits allégoriques caractéristiques du goût de l’époque. Dans la composition originale, la nymphe assise au linge noir est Catherine de Médicis, en deuil de la mort d’Henri II (1559) – en arrière plan sur son cheval avec une livrée noire et blanche-, la déesse au croissant et parée de bijoux est Diane de Poitiers, maîtresse d’Henri II qui portait ses couleurs (blanc et noir) dans le tournoi fatal (cf envoi 12, Chaumont sur Loire), la nymphe qui tient le voile nuptial antique (couleur flamme) au dessus de la pourpre royale est Marie Stuart, épouse de François II (1559-1560), admirée comme « la nouvelle Diane ».
Dans cette version de Tours, plus tardive, la déesse a pris la chevelure et les traits de Gabrielle d’Estrée, et le cavalier ceux d’Henri IV au foulard rouge, l’œuvre pouvant ainsi être vue comme une allégorie des amours d’Henri IV.
Ce bouquet de nus féminins stylisés éburnéens et éternels, plutôt glacés, d’ailleurs, pour ne pas dire glaçants [ ne pas oublier qu’« elles » sont capables, malheureux Actéon voyeur ! de vous faire dévorer par leurs chiens. Surtout depuis Me Too ! ] est hérité de l’École de Fontainebleau.
Encore une « saisie révolutionnaire » au château de Richelieu, cette Sainte Famille bien connue, copiée d’après Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit CARAVAGE. Bien sûr, les parcours sinueux de la lumière très… caravagesques, mais notez la composition avec ce cercle de ténèbres (Joseph et son bâton, Jean baptiste ) qui organise le centre éblouissant de lumière de l’enfant dieu et sa mère : si jeunette ! Notez le jeu des mains, toutes les mains !
Je ne peux pas vous épargner ce Saint Sébastien soigné par Irène, de Francesco Caïro (1635). Bien sûr qu’il est dans ma collection, bien sûr que je le connais bien, mais j’ignorais complètement qu’il se trouvât ICI, à Tours !
Et, croyez-moi, il reste fort original dans ma collection « des plus de 5000 » ! 1- Par son dépouillement. Bien sûr de nombreux tableaux présentent la veuve Irène soignant les plaies du martyr. Mais ici la sobriété est totale, pas de suivante(s), pas d’anges virevoltants, pas de paysage distracteur. Une lumière caravagesque de Nocturne. La sollicitude attentive d’une femme dans le silence de la nuit. La caresse est salvatrice, liturgique. La sainte guérisseuse est … mère et va redonner la vie, les flèches étant retirées.
2- Pas courante, non plus, la composition pour un saint Sébastien ! Corps sur la diagonale, étendu sur le dos, tête renversée et tournée vers nous, main droite sans vie disparaissant dans l’angle. Dans le triangle supérieur de droite, le visage et les mains d’Irène, surgies de la nuit, de l’ombre de la mort.
3- Certes le corps est offert, renversé, sans défense, mais ce n’est plus ici l’Apollon chrétien, le saint patron des Homos, à l’insolence et sensuelle beauté d’un corps flamboyant, à la nudité offerte dans une apothéose de la chair ou, dans l’extase effrontée et impudique de la jouissance, sous la perforation répétée du dard des flèches.
Ici le saint est pitoyable, léthargique, abîmé dans l’inconscience et attend la résurrection. Tableau Magnifique ! Une leçon de Ténèbres ! La 3è du Mercredy Saint, de M.A. Charpentier, par exemple !