Terres hautes
Ce sombre décor de la silhouette de la Domerie, est la sentinelle qui loin, même dans le brouillard épais, attire et rassure, comme elle dut le faire jadis car dressée sur les lieux les plus élevés du plateau – l’étymologie d’Aubrac venant du latin alto bracum : lieu élevé -. Mais très vite, les pâturages alentour remplacèrent les denses, obscures et menaçantes forêts.
On a plaisir à retrouver ici comme au fond du Portugal, de l’Espagne ou de l’Italie cet extraordinaire réseau de monastères qui souvent en des hauts lieux d’exception, ardemment ont défriché, semé, cultivé, élevé, bâti, fait du vin, du miel, du fromage… et chanté la plus grande gloire de Dieu ! Et finalement, ailleurs tout comme ici, ont façonné ces paysages.
Le complexe d’Aubrac est la porte d’entrée qui ouvre à plein vantaux sur ces courbes hautes et nues qui s’emparent du regard et le propulsent vers l’infini dès que vous quittez l’ombre des sombres bâtisses.
NB : les Pesquiès devant, les Bouals, les Moussous, à droite, les Rigambals, à l’arrière étaient alors couvertes de forêts
Ce lieu qui somme toute n’a rien d’exceptionnel (en regard de toutes les architectures et autre églises romanes après lesquelles nous courons depuis… depuis…) édifié là comme une presque incongruité, enrichit pourtant incroyablement tout l’espace et nous ressentons tout ce palimpseste agir et construire en nous un exceptionnel paysage tissé de toute cette histoire, de toute cette culture, de toute cette spiritualité.
C’est peut-être ça, la magie de l’Aubrac : à la vérité on ressent ici une conjugaison incroyable de l’espace historique, culturel, rural, écologique et mystique qui peut même se mêler – les jours de grand brouillard, de grande tempête, de grande neige, de grande tourmente – aux représentations d’antan de ces lieux alors menaçants et répulsifs.
Et il est vrai que c’est sous la neige que l’on ressent le mieux ces lents espaces chauves dans cette lumière drue qui dessine le galbe du ciel. Comme une mémoire des lointains glaciers d’avant… d’avant …
Alors que les immenses océans d’herbes insouciantes et vagabondes ne sont pas encore engendrées.
Et n’allez pas penser que la présence de la neige est ici anecdotique et inusitée. Elle peut tomber dès octobre et jusqu’au mois de mai. D’ailleurs, il neigeait là haut lundi dernier.
Et comme elle a l’art d’ensevelir clôtures, murets bas, blocs minimes, ne laissant qu’une ligne distraite en guise de rioù (ruisseau), on peut mesurer l’intensité de la déforestation en particulier dans le triangle resserré des Monts. Les vastes rondeurs du manteau blanc attestent de la fureur des haches et gardent – peut être ? – la mémoire des hommes en sueur 🤪 Traces ineffaçables.
Bien sûr perdurent, bien que moins denses que jadis, les belles futaies de hêtres de Gandilhac, des Soutous, du Martinet, de la Verrière, de Rigambal de la forêt domaniale d’Aubrac (2600 ha tout de même !) Et sur la bordure sud, le hêtre et le chêne rouvre continuent à se partager l’espace…
… mais, c’est bien désormais cette nudité, ce dépouillement qui attire le promeneur méditatif et poète, s’il est un tantinet contemplatif.
On remarque quelques boisements linéaires de résineux en bosquets ou bandes … pour protéger les animaux des rigueurs du climat ou préserver les routes des congères envahissantes.
Quand le Grand Blanc s’estompe puis disparaît, reste une herbe brûlée, ocre cendre, roussie et étonnamment, les premiers surgis de la terre réapparue, ce ne sont pas les brins d’herbe, mais les crocus, anémones, jonquilles. Pensez donc ! Tout ce temps à se morfondre sous la glace en rêvant l’avril ! Cette hâte de vivre, si longtemps contrariée !
mais aussi pensées, fritillaires, dents de chien, anémones pulsatilles… plus impatients de voir le jour que l’herbe verte. Plus prestes, en tous cas !
Alors que l’armée serrée de l’ombre des hêtraies attend, attend… avec patience l’avènement de la saison nouvelle. Sans hâte. Nous persuadant de la nécessaire lenteur… Vertu que vitesse, précipitation et activisme forcené s’ingénient à démoder.