Naissance de la Domerie d’AUBRAC
Or donc en ces temps révolus où la grande forêt primitive couvrait intégralement les terres d’Aubrac, des brigands surveillaient les mouvements de pèlerins de Compostelle qui empruntaient la Voie romaine Agrippa reliant Rodez (Segodunum) à Javols (Anderitum) pour les détrousser et souvent les massacrer. On peut voir au Roc de Campiels leur présumé site d’observation.
Or donc en ces temps révolus (Dom) Adalard en réchappa et de ces « coquillards » détrousseurs et de la tourmente de neige et, selon le voeu proféré, fonda à son retour de Compostelle « l’Hospice Notre-Dame des Pauvres » pour accueillir et protéger les pélerins et en devint le Dom (Dominus = maître).
Notons que la découverte en Galice du tombeau de Saint-Jacques date de 838 et qu’à partir de cette date le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle ne cessera de se développer…
Comme l’illustrent les toiles lumineuses de Hervé Vernhes exposées dans l’église Notre Dame d’Aubrac, s’en suivit une activité fébrile de construction, d’aménagement, de déforestation sous la houlette de l’abbaye de Conques solidement implantée dans la vallée d’Olt et déjà présente sur les marges de l’Aubrac.
Très vite, comme l’évoque la toile ci-dessus, l’emprise de la nature : la forêt des loups et des hors-la-loi a reculé devant celle de la culture : les pâturages des doux agneaux (cf le loup et l’agneau) et les bons moines.
Même encore en 1989, le Guide Bleu Midi-Pyrénées note « A 1300 mètres en ce lieu rendu hostile par les intempéries, les forêts, les brigands ». Pour se faire peur, sans doute 🤪 …
… rejoignant la description qu’en faisait alors – il y a près de 8 siècles ! – Adalard : « Lieu d’horreur et de vastes solitudes, terrifiant, boisé, plein de ténèbres et inhabitable, sans aucune nourriture ni fruits à moins de trois lieues à la ronde… »
Ceci dit, on peut s’étonner qu’aucun habitat ne soit venu s’établir à proximité immédiate de l’hôpital avant le XIXè !!! Et je pourrais en rajouter en notant que l’absence de sites préhistoriques (d’avant le Bas Moyen âge) laisse entendre que si l’on traversait l’Aubrac, on ne s’y installait pas.
On peut à l’arrière plan du milieu gauche noter la présence des trois clochers de l’abbatiale de Conques, gestionnaire à l’origine, du projet d’Adalard.
Hervé Vernhes évoque ici la « porte de la Miche », grande porte cochère à l’intérieur de la ceinture où se faisait la distribution du pain à toutes les personnes qui venaient en demander.
… la croix aux 8 pointes en taffetas bleu, insigne des hospitaliers et la fameuse cloche des égarés avec son inscription (voir plus bas)
Cet « Hospice Notre-Dame des Pauvres » dédié à la Vierge, adopta en 1267 la Règle de saint Augustin. Il abritait des chanoines réguliers, des chevaliers, des frères lais (ou convers : ceux qui bossent et ont les mains calleuses 🤪), des religieuses (jusqu’au XVIè siècle) et des donats et donates (au service des pèlerins dans les prieurés-hôpitaux des chemins jacquaires).
Le supérieur de cette maison était donc appelé le Dom, le premier étant Adalard soi-même et la maison elle-même est appelée la Domerie d’Aubrac.
Dans le cartouche, en haut à droite, la prière des Pèlerins, en occitan.
On peut voir à travers cette Archive départementale de l’Aveyron (Reconstitution par A. Fabre d’après un plan de Portal, géomètre d’Espalion,1792) reprise dans les toiles de Hervé Vernhes combien la Domerie était devenue un important et riche monastère tirant ses revenus de sa grande activité agricole et carrément géré par les grandes familles seigneuriales, ainsi les D’Estaing de la vallée du lot qui conservèrent un siècle durant le titre de Dom.
Contrairement aux apparences, ces solitudes erratiques, indécises et menaçantes étaient dûment enserrées par un réseau de familles seigneuriales et de paroisses mais dès 1125 (Fondation de l’hôpital d’Aubrac), les seigneurs d’Apcher, de Peyre, de Saint Urcize, le baron de Canilhac, les La Panouze, les Salgues etc. cédèrent d’amples territoires pour la réalisation du projet.
C’est l’abbaye de Conques solidement implantée dans la vallée d’Olt et déjà présente sur les marges de l’Aubrac qui entreprend la création du monastère hôpital d’Aubrac
Le cartulaire de l’abbaye de Conques – recueil d’actes, de titres de documents – atteste de la Donation d’Adalard 15 ans plus tard en 1107/1108.
Aujourd’hui, ne restent plus, après les pillages, destructions et les mises en vente révolutionnaires…
… et… les constructions anarchiques de bâtiments hôteliers et agricoles que l’église, la tour des Anglais et l’hôpital des pauvres. Après, bien sûr les restaurations au XIXè, car « la Domerie d’Aubrac n’offrait plus qu’un monceau de ruines » et l’église, par exemple n’avait plus son toit depuis 40 ans !
L’hôpital des pauvres derrière la tour est aujourd’hui séparé par la route, c’est lui qu’on aperçoit en haut à droite, au dessus du mur du cimetière.
On peut remarquer que sur cette face nord de l’église, aucune ouverture n’est pratiquée : grand Noooord oblige ! Les dates avancées jusqu’à présent pour la construction de l’église sont les années 1198-1203, les moines n’utilisant auparavant qu’un simple oratoire. Au premier plan les drailles, larges chemins entre deux murets qui irriguent le plateau.
L’ensemble paraît massif et on peut noter l’extrême solidité de ses moellons et la forte épaisseur des murs qui sauveront d’ailleurs la bâtisse de la dégradation définitive programmée, car elle resta 40 ans sans toiture et, en témoigne cette estampe de la façade sud d’Alphonse Bichebois en 1833, on n’est plus au stade du délabrement mais de l’épave.
Les murs latéraux sont épaulés par de larges contreforts saillants, réunis par ces arcades de plein cintre.
Toute la variation de teinte des pierres basaltiques de l’ocre au gris se retrouve dans les pierres taillées de ces murs, elle même rehaussée par ces lichens lumineux.
Le clocher, apparaît plutôt comme un campanile. De construction plus tardive il a certainement remplacé un campanile plus primitif originel, tant les cloches avaient un rôle important, participant au sauvetage des égarés dans les épais brouillards du plateau. On peut voir et entendre encore aujourd’hui la campana dels perduts, la plus grosse des 5 cloches qui sonnaient dans le mauvais temps pour guider les égarés. Avec cette inscription moulée « Deo jubila, Clero canta, Demones fuge, Errantes revoca, Maria » (« Crie de joie pour Dieu, Chante pour le clerc, Chasse les démons, Rappelle les égarés, Marie »). A préciser que la cloche actuelle n’est pas l’originelle, laquelle a subi de nombreux déboires.
On peut supposer que c’est à la dernière réhabilitation que le haut a été édifié en granite ! ?
Sur cette face est, il apparaît nettement détaché de la bâtisse. Le bas du campanile comporte la trace (murée) d’une ogive de raccordement de l’ancien cloître à deux étages telle que le montre le croquis de Fabre vu plus haut.
L’Intérieur est austère, dépouillé, et sombre, avec ses murs aveugles du côté du Nord. Rien à voir dans cette architecture médiévale à nef unique, avec les élégants chevets en hémicycle de Nasbinals et Saint-Urcize, ici, aucune chapelle rayonnante. Influence de Bernard de Clairvaux ? qui fustige ornement et parements, sculptures sur les chapitaux et toutes païenneries dans les sanctuaires … « Ô vanité des vanités, mais vanité plus insensée encore que vaine ! Les murs de l’église sont étincelants de richesse et les pauvres sont dans le dénûment ; ses pierres sont couvertes de dorures et ses enfants sont privés de vêtements »
De plus le seul riche parement de cet intérieur désormais nu, le jubé de belle pierre du Causse (élevé sous les doms de la Famille d’Estaing a été vendu et transporté en Amérique !
Et la dégradation continuera à se poursuivre au XIXè : on dit même que plusieurs fragments se retrouvent çà et là dans des édifices de la région.
On appelle improprement « Tour des Anglais » cet imposant édifice. En réalité ce sont les ravages répétés des Anglais pendant la guerre de Cent ans, qui obligèrent les religieux à se fortifier et à construire cette tour en 1353 jadis couronnée de mâchicoulis. On en voit tout en haut les consoles.
Bien sûr elle paraît aujourd’hui un peu esseulée, mais dans le monastère médiéval, plusieurs autres tours étaient intégrées, soit dans les espaces intérieurs soit dans les murailles d’enceinte.
Bien évidemment on remarque que les ouvertures (remaniées) ne correspondent plus à son rôle défensif originel !
Excellent travail de recherche et de présentation
JP POURADE
Merci pour cette leçon d’histoire!
L’Aubrac en couleur, c’est pas mal non plus!