L’AUBRAC dans tous ses états (15)

AUBRAC : lou Camin, Saint Chely (6)

Saint Chely !!! C’est vrai qu’on en a rencontré dans nos parcours un paquet de saints au nom tortueux, inconnus du reste du monde et vénérés dévotement çà et là. Encore un ! penserions-nous… mais que nenni ! Saint Chely n’existe pas ! Si faict ! n’a jamais vécu, été exemplaire, fait des miracles et les tutti quanti de l’apanage des déclarés saints. En vérité, c’est une déformation patoisante de l’évêque de Mende Hilaire (diminutif moqueur : Illy) par mauvaise coupure graphique de la chaîne phonétique ( comme mon habituel le/zanmis ) sanch/illy, san/chilly en occitan.

Ce qui rend suspect cette contorsion étymologique c’est que le saint patron de Saint Chély est… Saint Eloi (Sanch Eli, en occitan)

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac-CC BY-NC Jacques BOUBY

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac-CC BY-NC Jacques BOUBY

Le plus drôle est que jusqu’en 2009 les habitants du village n’avaient pas de dénomination officielle en raison peut-être (?) d’une telle équivoque phonétique. Désormais ils ont voté pour « saint chélois / saint chéloise » reconnaissance implicite de l’originel Saint Eloi. Et disqualification de l’hypothèse du sanch illy de Mende !

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac-CC BY-NC Jacques BOUBY

Ici tout comme à Nasbinals et Saint Urcize, l’abbaye Saint-Victor de Marseille fonde un prieuré sur le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Et la constitution du village est totalement contemporaine à la mise en place de la Domerie d’Aubrac

Le surprenant clocher témoigne encore de l’ancienne tour de guet sur laquelle il a été reconstruit après avoir été incendiée lors du pillage par les routiers pendant la Guerre de Cent ans et ce malgré l’existence de remparts. Son petit dôme reste … croquignolet !

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, Place Bonal-CC BY-NC Jacques BOUBY

Au coeur du village, la place Joseph Bonal du nom d’un propriétaire d’immeubles qui les céda à la mairie à vil prix pour construire cette place vers 1920

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, Place Bonal-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, Monument aux morts-CC BY-NC Jacques BOUBY

A noter que toutes les communes de France étaient tenues d’élever un monument à la mémoire des morts pour la patrie lors de la guerre 1914-1918

Bien longue liste de 93 morts pour une si petite commune !

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, Monument aux morts-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Saint Chély d’Aubrac-CC BY-NC Jacques BOUBY

Bien sûr la Croix de Malte (croix d’argent à quatre doubles pointes) atteste le souvenir des Hospitaliers d’Aubrac et les coquilles d’or évoquent les pèlerins de Compostelle. (identique d’ailleurs à l’écusson de Nasbinals pour le bandeau du haut sur fond rouge)

Cependant les navettes d’or de part et d’autre de la mître de Saint Eloi rappellent l’omniprésence de l’industrie du tissage à Saint Chély.

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Faux Jacquaïre à Saint Chély-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, église-CC BY-NC Jacques BOUBY

A l’intérieur de l’église on retrouve la voûte en berceau déjà rencontrée à la Domerie d’Aubrac.

Le maître autel a été remanié au XIXème par le peintre Castanié (d’Espalion) qui s’est par ailleurs risqué à une copie de la «Descente de Croix» de Rubens à la cathédrale d’Anvers. On lui doit aussi le Père Eternel dans sa nuée qui surplombe le tout.

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, église-CC BY-NC Jacques BOUBY

Les niches latérales exposent les statues dorées de saint Roch et son chien-chien à gauche et de saint Éloi, patron de la paroisse. Saint Roch se voit paré des attributs du pèlerin et arbore le bourdon et sa gourde-calebasse.

À noter la jolie colonnette torsadée polychrome et ses motifs hélicoïdaux de grappes de raisin et de feuilles de vignes.

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, église-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, église-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Saint Chely d’Aubrac, église-CC BY-NC Jacques BOUBY

Extraordinaire tribune-galerie sur deux niveaux qui meuble le fond de la nef et ses avancées latérales, d’un bois sobre avec des balustres découpées.

Sans doute réservée aux hommes, elle atteste (tout de même !) du nombre important de fidèles masculins … en ce temps-là 🤪

Aubrac, Saint Chely d’Aubrac, église-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Saint Chely d’Aubrac, église-CC BY-NC Jacques BOUBY

et le beau lutrin laisse entendre que la chorale masculine groupée autour chantait aussi le grégorien à … plainchant !

Aubrac, Saint Chely d’Aubrac, église-CC BY-NC Jacques BOUBY

 

Aubrac, Saint Chely d’Aubrac, église-CC BY-NC Jacques BOUBY

La Chapelle de saint Joseph abrite deux fragments de bas-relief en calcaire de la première moitié du XIVéme siècle, représentant le Christ et sept de ses apôtres, dont Jacques le Majeur (à gauche), portant le bourdon (cassé) des pèlerins de Compostelle et le grand chapeau à la coquille. À droite, le dernier au bâton qui a réussi à conserver son nez dans la tourmente révolutionnaire pourrait être l’apôtre Jude (fils de Jacques), le bâton, c’est celui de son supplice ! A noter que pour notre église catholique, il serait cousin de Jésus, mais… pour la tradition orientale, il est un des 4 frères de Jésus. Aïe aïe, Marie 🤪

Bien sûr à l’origine c’était bien 13 personnages (le Christ + ses 12 apôtres) qui avaient été sculptés ; d’ailleurs un des 3 apôtres manquant a été retrouvé incrusté dans le pignon d’une maison sur la place. Les dégradations sont à mettre comme toujours au compte de la … Révolution. On peut supposer aussi, comme à l’accoutumé, que ce bas relief était polychromé.

Aubrac, Saint Chely d’Aubrac, église-CC BY-NC Jacques BOUBY

A noter aussi, que le quatrième personnage, complètement dévasté, c’est… le Christ soi-même ! Faut croire que les camarades révolutionnaires avaient de sérieux griefs ! ?

Ce bas-relief (fierté de la commune) a été exposé au musée du Louvre en 2009, dans le cadre de l’exposition « Les premiers retables, une mise en scène du sacré ».

Aubrac, Saint Chely d’Aubrac, Moulin de Fabras-CC BY-NC Jacques BOUBY

Voici le moulin de Fabras, (jadis moulin Tradan) sauvé et superbement restauré en quinze ans de travaux par Pierre Pradel. Fort édifiante l’histoire de ce moulin ! Moulin à blé certes, mais aussi à huile (de noix et noisettes), à pomme, pour faire du cidre. Evidemment au XIXème les minoteries ruineront impitoyablement tous ces moulins d’antan ! Quoique ! En 1909, Joseph Bras, le propriétaire, remplace les trois paires de meules par une génératrice à courant continu de 6 kW  qui va alimenter 19 lampadaires dans les rues ainsi que les maisons de quelques particuliers. Sic ! Même que 2 ans plus tard Joseph Bras signe un contrat de 30 ans avec la mairie. Incroyable !

Aubrac, Saint Chely d’Aubrac, Moulin de Fabras-CC BY-NC Jacques BOUBY

La bâtisse reste magnifique avec ses glycines.

Aubrac,Jacquaïres descendant la rue du Pont Vieux-CC BY-NC Jacques BOUBY

C’est dans la rue pentue qui descend vers le Pont Vieux que je vais guetter les jacquaïres. Anciennement rue des tisserands et florissante (cf plus haut les deux « navettes » figurant sur le blason de la commune).

Aubrac, Jacquaïres descendant la rue du Pont Vieux-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac,Saint Chely, Jacquaïres descendant la rue du Pont Vieux-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, Pont Vieux-CC BY-NC Jacques BOUBY

Seul point permettant le franchissement de la Boralde par les pèlerins, le pont date du XIVème siècle.

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, Pont Vieux-CC BY-NC Jacques BOUBY

Le revêtement du tablier en galets de boralde et quelques autres vestiges de la Via Agrippa, remplace avantageusement le bitume qui le recouvrait naguère.

La dénomination « Pont des Pèlerins » est désormais venue supplanter celle de « Pont Vieux », de plus de 600 ans !

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, Croix du Pont vieux-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, Croix du Pont vieux-CC BY-NC Jacques BOUBY

Le panneau signalétique ci dessous, n’évoque que… la face à l’ombre non lisible et non photographiée : Christ sur sa croix encadré de la Vierge et de Saint-Jean.

Curieusement, comme d’ailleurs dans tous les textes qui évoquent cette croix-calvaire, pas un mot sur la face montrée ici : la Vierge à l’enfant avec deux personnages de part et d’autre sous sa protection, dont l’un pourrait être un pèlerin vu le bourdon qu’il tient ; ç’aurait pu aussi être un évêque mitré vu le long manteau de cérémonie et la croix pectorale (Saint Eloi ?) Et sa crosse ? de toute façon le haut de la croix est dégradé et l’on ne peut non plus décoder la scène dans le ciel.

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, Croix du Pont vieux-CC BY-NC Jacques BOUBY

En revanche la description méticuleuse à souhait du pèlerin « au bas du fût » est un exercice de bravoure et… d’imagination.

Il faut une sacrée loupe et un sacré éclairage rasant pour y tenter d’apercevoir le descriptif ci-dessus. Impossible ! le lichen a tout dévoré. Peut-être tout au plus en promenant le doigt, ressent-on un léger relief vertical, peut-être le bourdon (imaginé) de ce hiéroglyphe ravagé.

Nul doute que celui qui a écrit la notice avait les (sacrés) yeux de la Foi ! C’est clair, chez lui, le fond prime largement la forme 🤪

Pour tout le reste, sans être Thomas … jugez vous-même.

Aubrac, Saint Chély d’Aubrac, Croix du Pont vieux-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Jacquaïres sur le Pont Vieux-CC BY-NC Jacques BOUBY

Tous ces nombreux édifices, lieux de culte, ponts, croix… qui jalonnent ces itinéraires des 4 routes qui convergeaient vers les Pyrénées témoignent aujourd’hui encore de leur rôle primordial non seulement dans le développement religieux et culturel au Moyen Âge mais aussi dans les échanges sociétaux.

Aubrac, Jacquaïre à Saint Chély-CC BY-NC Jacques BOUBY
Aubrac, Jacquaïre à Saint Chély-CC BY-NC Jacques BOUBY

On estimait à 300 000 par an au Moyen Âge les pèlerins se dirigeant vers Compostelle.

Aujourd’hui le phénomène est si peu anecdotique qu’il a été installé depuis fin février, un éco-compteur en aval de Saint Chély d’Aubrac, afin de décompter les jacquaïres et autres promeneurs. Ah ! Cette société marchande et statisticienne ! SOS Adalard ! Ils sont devenus fous. On peut rigoler franchement : les cerfs, chevreuils, renards, et autre quatre pattes feront partie du lot ! Tout «gibier» n’est-il pas un consommateur ?

Aubrac, Jacquaïres à Saint Chély-CC BY-NC Jacques BOUBY

Dans le Le Génie du Christianisme, Chateaubriand (qui y a d’ailleurs décrit la Domerie d’Aubrac) conclut que « les pèlerinages étaient fort utiles et servait puissamment le progrès de la civilisation et des lumières ».  Baste ! on va le croire ! On ajoutera qu’ils servent tout aussi puissamment le commerce, voire le business 🤪

« Il n ‘y avait point de pèlerin qui ne revînt dans son village avec quelque préjugé de moins et quelque idée de plus » 

Aubrac, Jacquaïres à Saint Chély-CC BY-NC Jacques BOUBY

 

 

Une réponse sur “L’AUBRAC dans tous ses états (15)”

  1. Très joli et agréable, pour nous, retour sur notre passage à St Chély en 2016 . Photos bien plus belles que les nôtres bien sûr … Normal, patron 😄. Nostalgie …

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