AUBRAC : el Camino, lou Camin (5)
Et voilà soudainement pluie et brouillards, insidieusement enveloppant, effaçant les lointains et rendant les infinis illisibles, transformant les arbres en silhouettes indéchiffrables. Même le bloc de pierre familier est devenu fantômatique !
« L’étape suivante au départ de Nasbinals a perdu son bleu cosmique pour une nébulosité généreuse qui oblige à baisser le regard et à revenir sur soi. Tout est devenu rétréci, chemins, cailloux, arbres. Où sont les pâturages et leurs palettes de vert, ondoyant derrière tous les infimes reliefs ? Y a-il encore quelques vies ruminantes dans ce gris sans bruit ? Comment a-t-on pu passer d’une explosion de vie à l’état de nature printanière à un négatif où rien n’est à l’endroit ? Est-ce cela le mystère originel de l’Aubrac ? » note Marc le Caminaïre
Peut-être cette atmosphère un tantinet lugubre rappellerait-elle le « loco horroris et vastae solitudinis », selon l’expression formulée dans l’acte de fondation de la Domerie par Adalard. (NB extraite elle-même du Deutéronome, Cantique de Moïse)
Et si vous ajoutiez à cela une bonne tourmente de neige poussée par l’écir du Nooooord, on comprend pourquoi la campana dels perduts d’Aubrac sonnait à toute volée des heures durant. Oui, celle qui porte l’inscription «errantes revoca» ! (voir Épisode 2)
https://jacbouby.fr/2023/04/17/laubrac-dans-tous-ses-etats-2/
On notera toutefois que ce tronçon présente un des lieux les plus élevés des routes de pèlerinage pour Compostelle avec le col de Roncevaux.
Il faut dire qu’en ces lointains temps de FOI les jacquaïres ne réservaient pas ce pèlerinage aux seuls beaux jours printaniers et les redoutables fondrières d’hiver ne dissuadaient pas leur spiritualité et leur persévérance, même si leur endurance les laissaient totalement épuisés à l’étape.
On nommait montjoies, ces monticules de pierres placés au bord des chemins, surmontés ou non d’une croix, repères, et indicateurs de direction. À coup sûr, cette croix nous revient de loin ! Taillée plus par la ferveur que le savoir faire artisanal !
Et non, ces marcheurs rencontrés sur Lou Camin ne sont pas tous des pèlerins !
Comment ne pas comprendre cet appétit impétueux de tous ces romiu, caminaïre ou rebalaïre, (pèlerin, chemineau/randonneur… rebalaïre) grimpant hâtivement le week end vers ces espaces libres et infinis et oublier un instant les bruits du monde et de l’immonde. Presque un dépaysement exotique pour tous ces malheureux citadins dont les villes ont furieusement dévoré les campagnes alentours pour en faire des dortoirs, des centres commerciaux, des… banlieues bien bétonnées. Avec le bruit et la fureur inhérents !
«Rebalaïre» Quel joli mot intraduisible ! C’est ce terme dont ma grand mère traitait son fils, mon oncle Honoré qui rentrait à point d’heure après avoir trainassé de ci de là, erré et causé chez l’un chez l’autre, sorte de vagabondage accort et bienveillant, de rencontres buissonnières prolongées et… un peu arrosées.
Rebalaïre : celui qui rebala, tire, traîne, musarde, lambine, perd son temps en vadrouillant, dilettante convivial à l’esprit qui muse sans souci majeur des normes et prescriptions. Ce mot me plaît, me nomme, me réjouit.
C’est dans cette dernière descente sur Aubrac que par temps clair bien sûr, on a la surprise de découvrir à droite un vaste bâtiment, impossible à récuser. Vous ne pouvez pas le manquer !
🔎 Le titre d’une série de cartes postales anciennes (une trentaine) exposées à Nasbinals est Cure d’air et de petit lait. Sur l’une d’entre elle on y voit en effet une distribution de petit lait au Buron de Rigambal Bas où la «jet société» de la Belle époque, sapée princièrement, parade, une tasse de petit lait à la main servi par quelque buronnier : on se frotte les yeux !
Ceci pour dire que si les Parisiens venaient en bande dans cet endroit paumé, c’est qu’il y avait un établissement pour les loger et nourrir et pourquoi pas un Sanatorium devenu l’Hotel Royal avec, carrément eau électricité et WC à tous les étages ! Selon la formule !
Fin du XIXème, le Docteur Saunal, fort de sa thèse « Asepsie pulmonaire et aérothérapie », préconise des cures « d’air et de petit lait ». Et donc surgiront ici les « gaspejaïres » (de « gaspe » : petit lait » en occitan) amateurs nombreux (3 hôtels alors !) de grand air de fraîcheur et de petit lait. Et d’entre-soi ! Cures qui cesseront au milieu du XXème. Eh oui ! Déclin inéluctable des Burons et de leur production fromagère.
Nous reste ce Royal Aubrac austère, silencieux et intrigant. Abandonné ! Échoué à 1400 m. Protagoniste d’une BD en 2 Tomes de Christophe Bec sur les dessins de Nicolas Sure.
Mis en vente sur le Bon Coin « À vendre château de 6 000 m2 à Aubrac pour la somme de 1, 48 M€. » par Roger Cousty son propriétaire depuis 2007. Retiré du site puis… vendu à un couple d’entrepreneurs de Lozère (Anne et Nicolas Prunières) en 2021 pour… la suite à donner. Peu probable toutefois que ce vaisseau retrouve son lustre d’antan !
D’autant que les nouveaux propriétaires ont ouvert une page Facebook en demandant à n’importe quel quidam de laisser un commentaire sur le Futur Royal Aubrac. « dites-nous en toute simplicité ce que vous rêvez pour le futur Royal Aubrac » ! Pas triste ! Je retiens sur la liste des propositions : un projet de « Prison Ouverte » ! Pour une « réinsertion progressive » ! Rentable sans doute et… la patinoire intérieure sera la bienvenue 🤪
Voici, à l’entrée d’Aubrac la Croix de Regimbal, ensemble initié par Germain Saltel, inauguré en 2004 avec sa croix de granite orientée vers Jérusalem et sa rangée de prismes basaltiques.
Deux niches : saint Jean à gauche, saint Jacques à droite. Pourquoi saint Jean ? Car fête importante pour l’Aubrac — et ce monument est dédié aux buronniers qui jadis oubliaient un moment le travail au masuc pour fêter le solstice d’été à la Saint-Jean Baptiste, patron des bergers et les mountanhas s’illuminaient de quelques feux (lous radals) et parfois d’airs d’accordéon.
Au dessus du bac en granite : la croix de saint Jacques (dont la lame évoque la décapitation de l’apôtre Jacques par Hérode en Palestine en 44 ap. JC) surmontée de la Coquille, entourée des étoiles du Campus Stellae (Compostelle)
Les « Galets de St Jacques » peints, chargés des intentions, prières, espoirs, des jacquaïres
A noter que ce tronçon du Camin : Nasbinals / Aubrac / Saint-Chély-d’Aubrac (17 km ) a été classé par l’Unesco, ainsi d’ailleurs que celui de Saint-Côme-d’Olt / Espalion / Estaing : 17 km le long de la vallée du Lot.
Voici les jacquaïres rendus dans ce haut lieu du Pèlerinage de Compostelle (voir épisode 2 https://jacbouby.fr/2023/04/17/laubrac-dans-tous-ses-etats-2/
Là encore, je n’ai vu aucun pèlerin s’intéresser ni de près ni de loin à la belle peinture d’Henri Vergnes qui pourtant court sur le mur d’une bonne partie de la nef. Plus de doute, ils sont recroquevillés dans leur bulle mystique !
Ce qui fut jadis et longtemps une formidable providence des voyageurs, des pauvres, des pèlerins ( 500 pèlerins pouvaient y être accueillis et 5000 pains étaient distribués à l’Hospice Notre Dame des pauvres ), n’est plus aujourd’hui qu’un lieu de passage des pèlerins, à peine une halte. D’ailleurs, où pourraient-ils loger dans ce village de moins de 10 habitants, à part le gîte d’étape de la Tour des Anglais ?
Même l’institution mythique Chez Germaine (Pensez que la famille Gros avait déjà ouvert une auberge … au XVIIIème. Sic !) ne répond plus. Germaine Gros, a largement contribué à la renommée de l’emblématique aligot. Même qu’elle a reçu en 1959 le Diplôme d’honneur de la Section Gastronomique du Salon des Arts !
A son décès en 2000, sa fille Adrienne puis sa petite fille Valérie se sont ingéniées à perpétuer l’héritage. Las, Hélas ! il semble que la fermeture soit définitive.
Et voici les Jacquaïres repartis pour Saint Chely, passant sous le double neck de basalte de Belvezet, qui domine le Camin du haut de ses… 8 millions d’années. Comme déjà évoqué dans Aubrac ou le règne minéral (2) : https://jacbouby.fr/2023/07/03/laubrac-dans-tous-ses-etats-7/
Et voici Saint-Chély-d’Aubrac à 800 mètres d’altitude, niché dans sa verdure au bord de la Boralde… alors qu’on vient de quitter Aubrac à 1300 mètres … en 7 kilomètres !
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