LLANTO pour Hato Piñero (épilogue)
Merci à Sarah et Gilles pour la planification de ce voyage hors norme, en fait 3 voyages distincts au Venezuela, et … en tête à tête, svp, le grand, grand luxe : le delta de l’Orénoque, Canaïma et ses Tepuys et les Llanos.
Merci à Gertrudi et Daniel qui ont avec nous arpenté sans relâche, pistes, sentes, caños, savane… toujours joviaux et attentionnés.
Avec eux nous avons circulé, aussi, la nuit, parmi les brumes tièdes, l’oreille aux aguets, le corps en attente, sursautant à tous ces froissements sauvages, perçant de nos yeux l’ombre des marais bruissants, en quête d’un frémissement de feuille dérangée, d’un imperceptible clapotis, voire d’un cri étouffé ou triomphant, déclenchant parfois un bruit d’ailes intempestif fissurant la nuit. Pas forcément rassurés, les Bouby !
En plus de cet ineffable bonheur de dépayser sa curiosité dans ces lieux dont la variété géographique et la multiplicité du vivant est un enchantement, nous avons découvert que la NATURE, en particulier celle des écologistes, pensée comme bloc à protéger, n’est qu’une construction de l’esprit.
Ce qui nous a frappé, c’est plutôt la profusion de toutes ces existences qui s’agitent, s’organisent et pensent dans ce cadre du naître-vivre-mourir et qui partagent certes une manière identique d’habiter le monde mais dans une totale individualité et des particularismes multiples et opiniâtres. Non comme un bloc homogène mais comme une discontinuité de personnalités propres et non inféodées à un système extérieur qui se nommerait la NATURE.
Si j’ai été sidéré par la «philosophie» très personnelle du chiguire, c’est que sa manière d’habiter le monde était plus évidente, plus lisible. Ajoutons bien sûr que l’abolition totale de l’homme dans sa relation prédatrice rendait ici cette lecture plus transparente.
J’ajouterai que l’épisode de la baba échouée dans la cour des humains lors de la grosse pluie a aussi été une révélation. Tous les llaneros venaient lui parler, soit pour la rassurer, soit pour la railler de sa bévue et de son incongruité sur ce territoire mais en aucune façon l’effrayer, la menacer ni en geste ni en paroles. Ni peur ni colère non plus pour le chien passant tout près d’elle …
Cette communication possible me renvoyait (NB je suis un poêteuh !) immanquablement au vieux temps joli où l’homme parlait aux rivières aux montagnes, aux forêts, aux animaux. Chacun sait que le probable paradis perdu est … la terre, la nôtre, ce « Jardin des Délices « .
Mais alors, pourquoi le titre, pourquoi LLANTO pour les LLANOS ??? LLANTO pour Hato Piñero ???
Pourquoi ce titre qui sonne comme pleurs et complainte ???
LLANTO : les hispanistes, hispanisants et tous les cultureux connaissent le célèbre « LLANTO por Sanchez Mejías » – son ami torero mortellement blessé dans les arènes – de F. G. LORCA et son célèbre « A las cinco de la tarde ….
Pourquoi llanto, pleurs, et finalement … chant funèbre ?
Parce que, le jour de notre arrivée au Hato Piñero, une escouade des gens du gouvernement, piquetés de quelques célèbres tee-shirt rouges ( Venceremos ! ), venaient tout simplement prendre possession du lieu, avec homme de loi pour signature et exécution … de la confiscation.
Hato Piñero de la famille BRANGER n’était plus. Confisqué par le pouvoir malgré une longue, longue bataille juridique puissamment entreprise par … une grande famille depuis 3 ans pour ( tenter de ) résister à la vente forcée de ce bijou au nom de la réforme agraire. Mais contre la Revolución !!! Que faire même si on s’appelle BRANGER et qu’on a une armée d’avocats convaincus ?
« La confiscation est une catastrophe – me confie Carlos avec qui j’eus une longue conversation sur les fauteuils de la veranda, tard le soir parmi les incroyables crissements de la nuit. –
Le gîte touristique va à coup sûr disparaître ici. Au début, explique Carlos, le gouvernement injecte quelques fonds pour les frais de fonctionnement initiaux, mais après … Plus rien. »
Être optimiste ? reprend Carlos, Impossible ! En moins de deux ans ces terres lointaines et cachées seront laissées sans entretien, la dégradation est garantie, les animaux seront tués… pour manger, comme aux temps anciens.
Trop sombre, et excessif !? Carlos qui m’assure d’être tellement heureux s’il se trompait, sait qu’il en sera ainsi, car il en est ainsi des hatos que le govierno a annexés. Hato El Frío, annexé depuis deux ans appartenait à la famille Maldonado qui l’exploitait depuis un siècle. Aujourd’hui, des soldats armés d’AK 47 gardent l’entrée, la grille est peinte en rouge-révolución, un panneau d’entrée annonce le nouveau nom : « Empresa Socialista Agrícola Marisela ». L’activité touristique, qui pouvait accueillir 60 hôtes n’existe plus, la station de recherche biologique a cessé toute activité. Le hato produit très peu. « Dentro, la actividad parece haberse paralizado. En el patio descansan unos 20 tractores, ensamblados en Venezuela con la ayuda de Irán. Y en la oficina central, una mujer juega al Solitario en el ordenador mientras a su alrededor la observan un puñado de empleados. » écrit le journaliste de TRAFFICNEWS. La révolution en marche, en somme.
Pourtant, regardez la merveille que j’ai découverte dans une revue locale. Çà, c’était avant. En vérité, hélas, Tout peut cesser, là-bas !
Amis, je vous en prie, si vous passez là-bas, dites-moi que Hato Piñero est resté le » Jardin des Délices » si chers à nos coeurs.
« Los versos están en las cosas de la sabana, tú te la quedas mirando y ella te los va diciendo »
les vers du poème demeurent dans les choses de la savane, toi, continue à la regarder et elle va te les dire peu à peu, écrit Rómulo Gallegos. Pas si sûr !