Une saison à Hato Piñero (4)
Le quotidien du llanero : – poursuite dans la plaine rude, poussière, clameurs, galopades, mugissements farouches, mais homme plus rebelle que les troupeaux rebelles, – franchissement tumultueux des caños où veillent les babas et patrouillent les caribes (pirañas)
Les temps forts du llanero : rassemblement du bétail dans les enclos, poursuite des veaux que l’on terrasse sur le sol avant de leur imprimer au fer rouge le signe identitaire de la mariposa (le papillon)
Lait à traire des búfalos (des bufflonnes plutôt), qu’autrefois on faisait cailler dans un récipient en cuir de bœuf, fromage, – qu’on a dégusté avec des goyaves confites…
Chants et joropo chantés à tue-tête pour se tenir compagnie et s’égayer un peu l’âme dans ces vastes solitudes
Le cheval cet autre lui-même ! « Et quand j’étends mon bras, quand je vais prendre le lazo, ses yeux dardent la lumière… Ses yeux sont deux étoiles, ses sabots sont quatre étincelles ; il est fidèle comme mon couteau et beau comme la nuit sereine. Ah ! j’aime mon gris-pommelé autant que j’aime ma brunette. »
A Hato Piñero, le bonheur est que vous êtes en contact avec la vie du ranch, le corral est à trois pas et tôt, à la fraîche, vous pouvez observer les hommes triant les chevaux, sellant et bridant leur monture, vérifiant leur lazo (lasso) …
… et contempler le llanero qui aiguise son fer de lance en chantonnant à l’abreuvoir, tandis que les capuchinos font les fadas dans l’arbre au-dessus et que le gavilán, perché sur le pieu d’à côté est aussi attentif que vous à cette agitation matinale.
Ci-dessus, votre llanero préféré qui chaque jour avec sa doudoue parcouraient inlassablement, dans le préhistorique panzer division, les pistes poussiéreuses du Hato … l’oeil aux aguets, l’esgourde vigilante.
Où l’on découvre avec bonheur que le Chigüire, baptisé catholiquement à son insu Capybara, cochon d’inde surdimensionné, hippopotame sous dimensionné, espèce de canard sous équipée … est aussi philosophe hédoniste incontesté.
En effet, fort immensément attentif à ses paradigmes fondamentaux, il baye aux corneilles, peigne la girafe et laisse pisser le mérinos, à longueur de journée, ce qui définit proprement une Weltanschauung (une vision, une conception du monde et de soi-même) et comme l’écrit fortement Carl Gustav Jung :
« Toute conscience supérieure appelle une Weltanschauung »
Notre Chigüire, se réclamant entièrement d’Aristippe de Cyrène fondateur de l’école (« Les plaisirs du corps sont plus importants que ceux de l’âme ») mais d’un esprit plus large, adopte aussi les thèses d’Epicure à la recherche de l’intérieure quiétude de l’ataraxie.
« Le plaisir que nous avons en vue est caractérisé par l’absence de souffrance corporelle et de troubles de l’âme » me confia un Chigüire en citant son maître et ajouta qu’il alliait à tout cela l’apatheia, de cet autre maître Epictète, conjuguant ainsi, contre toute attente, hédonisme et mysticisme béat !
J’avoue que cette philosophie existentialiste de toute première pureté ne nous laissa pas indifférents, d’autant que tous les jours nous rencontrions éblouis un grand nombre de ses adeptes.😜
Mais, doukipudonktan, cestuy-la, sa huppe orange aux mèches super laquées, façon touffe punk mohican, ses belles joues bleues, son œil rouge et ses douces couleurs chataigne ? C’est qui cet élégant, au cri désastreux et rouillé, de si mauvais présage pour les llaneros ?
Lui, l’Hoatzin, c’est le plus vieil oiseau du monde (Jurassique supérieur) découvert il y a … deux siècles. Pas plus !
Copains/copines, ils vivent ensemble dans le même arbre qu’ils ne quittent que rarement… que lorsqu’un emmerdeur de photographe s’acharne à vouloir cadrer leur belle huppette et leur œil joli et pour aller juste sur l’arbre d’à coté et pas plus loin à cause de… son jabot péniblement lourd et son énorme intestin antérieur.
🔎 Trois choses perturbent les ornithos :
1- sa taxinomie
Après avoir été traité de galliforme (passe encore !) de cuculiforme (ça, c’est carrément grossier !) alors qu’il est en fait anisodactyle et non zygodactyle. Puisqu’on vous le dit ! et, pôvre bêêteuh, on l’a vilainement décrétée inclassable et on s’est résigné à créer pour elle toute seule une famille. Jugez de l’embarras assez inavouable de nos savantissimes ornithortilleurs. 😜
Mais ô bonheur ! nithos hoatzin, ni poupoule, ni coucou, ni coco-perroquet, a engendré – à lui tout seul- l’espèce des Opisthocomidae. Et toc ! De plus, sans doute pour enrayer tout net les terribles luttes intestines des ornithoqués, des ornithotruands et des ornithotalitaristes, c’est la poésie et non la rationalité qui a généré son nom de baptême : opisthocomus signifiant en grec « portant de longs cheveux en arrière » Tout dans la houppette punk ! laquelle donne encore un peu de sens aux contrejours ou aux photos tardives. Pôvre bêêteuh !
2- Le jeune Hoatzin, autre sujet de perplexité garanti, porte des griffes (2) sur chacune de ses ailes avec lesquelles il grimpe comme le lézard. Ça ne vous rappelle pas un peu les monstres aériens du Jurassique que les films numériques réactivent régulièrement… un certain « archéoptérix », non ?
3- L’Hoatzin, dès son petit lever, s’affaire à remplir son jabot -qu’il a donc phénoménal- puis s’allonge carrément sur une branche grâce à son bréchet calleux et …RUMINE (sic) peinard sur son coussinet en regardant passer le touriste.
Cette stratégie digestive découverte en … 1984 ne cesse d’interpeller et de produire … des thèses.
Hélas, la beauté indéniable et troublante de cette vache volante, (ceci expliquant cela) n’a pas séduit les Vénézuéliens qui, loin de son nom de scène, le nomment, eux, Chenchena : le faisan qui pue. Ô bonheur : c’est sans doute ce qui, rendant sa chair peu appétissante, l’a préservé de l’escopète. 😜
Sauve qui pue ! Pôvre bêêteuh !
Notez que les brésiliens, plus sympas le nomment « cigana », gitane/tzigane, plus conforme à sa robe bariolée multicolore et tournoyante !
Avec les saloperies toxiques des plantes-pas-possibles qu’il avale dans son jabot en béton, sa viande est donc dégueu ; aussi l’appellent-ils, en Equateur, « pava hedionda », dinde pestilencielle.
Affirmatif : j’ai mes sources !
Riton a écrit :
le Hoatzin aux longs tifs me semble surtout un avatar du Booby au cigare plongeant, en mieux coiffé, ou alors l’enfant naturel du Booobie avec le Diable rouge hirsute, sans la pestilentielle putréfaction, enfin j’espère, qui cache sous son bétonné jabot un coeur tendre sur un doux estomac… Nostalgie du lazo et du caballo libre dans la pampa on dirait ? Bien entrainantes images du MaÎtre, perverti par la couleur, mais tant mieux !
Oui ! oiseau magnifiquement surréaliste et beau comme un diable, en effet, qui à lui seul et de son seul jabot, tient en échec l’irrépressible besoin taxinomique, de ces savants prophètes et sauveurs de planète.