CHATEAU de CHAMBORD 1
Chambord ! D’où que vous arriviez, au moins sur 3 des points cardinaux, surgit à l’horizon, dominant la plaine solognote, cet incroyable silhouette massive mais aérienne, d’une majesté à la fois géométrique et fantasque qui a tant nourri estampes, dessins, gravures, lithographies, peintures, photographies, cinéma. Un vrai Mythe !
Voici la façade nord-ouest (156 mètres), la plus emblématique, la plus renommée, dessinée et peinte des myriades de fois dès le XVIè et… immensément photographiée !
La plus «lisible» aussi : ce quadrillage régulier, tout à fait caractéristique des constructions de la Renaissance comme on l’a déjà vu ! Le rythme des pilastres, les bandeaux moulurés séparant visuellement les niveaux habitables, toute une trame enserrant les ouvertures, le Donjon trapu ceint de ses massives tours rondes, râblées, les toitures échevelées et fantasques : Géométrie, ordre et beauté, luxe calme et volupté.
A gauche du donjon, l’aile royale avec les appartements de François 1er au premier étage, à droite, symétriquement (ou presque !) l’aile de la Chapelle
Né de la pierre, roche surgie des marais, érection tellurique et minérale émergeant des eaux : c’est par une lettre datée du 6 septembre 1519 que François Ier ordonne la construction officielle de Chambord : « Comme nous ayons puis nagueres ordonné faire construire, bastir et ediffier ung bel, grant et sumptueux ediffice au lieu et place de Chambort, en nostre conté de Bloys, selon l’ordonnance et devis que en avons faict ». Bâti comme un défi !
Franchissons la vaste enceinte rectangulaire, bordée d’une fausse braie, cantonnée de tours rondes et… nous voici dans la cour d’honneur. Dressé comme une falaise voici le Donjon, puissant, classique, carré, à 4 tours d’angle, rondes. Énorme cube de pierre de 45 m de côté sans les tours d’angle.
A l’intérieur, l’espace s’organise selon le plan d’une croix grecque (c’est à dire à branches égales) formée par quatre vastes salles. Au centre de la croix prend place l’escalier à double révolution qui gère sur 3 étages l’accès aux 4 logis carrés en forme de croix et aux 4 logis de tour à chaque angle, logis du roi et de sa cour.
Flaminia Bardati et Eric Johannot on réalisé ce croquis montrant à l’évidence la superposition du plan du donjon du château de Chenonceau en noir et celui de Chambord en orange. Le premier donjon en carré de Thomas Bohier à Chenonceau en croix grecque lui aussi (cf Chenonceau 1 ), paraît bien inspirer celui de Chambord… en beaucoup moins monumental : changement d’échelle et … d’ambition !
Ce plan « centré » en croix grecque, répété d’étage en étage, est sans équivalent en France à cette époque, en particulier pour un édifice civil alors que en Italie cette configuration est d’usage pour construire des bâtiments religieux.
Un panneau dont je vous épargne la photo, explique que le cercle et le carré sont les formes parfaites, les éléments de l’harmonie cosmique et c’est à elles que recourt l’architecte pour célébrer le divin, à l’instar de la basilique Saint-Pierre de Rome dont les plans ont été conçus en 1506 par Bramante ou de Sainte Sophie de Constantinople élevé par l’empereur Justinien en… 532 !
Géométrie harmonieuse et variations délicates caractérisent la forme et la disposition des ouvertures, fruit d’une architecture cérébrale mais où la dissymétrie n’est point bannie.
Pénétrons dans le donjon. La surprise est grande de « tomber » sur… l’escalier central en lieu et place d’une salle de réception, d’un large vestibule d’accueil, d’une antichambre, d’une rotonde, que sais-je ? C’est pourtant l’entrée officielle ! Il s’impose ici, incontournable, en plein centre névralgique du donjon, au coeur même des quatre bras de la salle en croix, avec ses 9 mètres de diamètre. Une invitation pressante à … monter, quasi impérative, happés, aspirés qu’on se sent, par la lumière descendant à flots inépuisables de la lanterne !
Comment comprendre que cet escalier-monument occupe une part aussi considérable de l’espace qu’il est censé desservir sinon … servir ? Il nous revient à la vue le très bel escalier de Blois.( cf Blois 1) Magnifique sans aucun doute mais loin d’occuper le centre de l’édifice, il est excentré et extérieur et strictement affecté à sa fonction de … desservir les étages, POINT !
Au premier abord, tout comme vous, on voit un unique escalier, beau, large, avenant, somptueux. Et, surprise, en s’approchant on découvre qu’il est en fait constitué de deux rampes s’enroulant l’une au-dessus de l’autre autour d’un noyau ajouré (ci-dessous).
Ainsi, deux personnes peuvent emprunter simultanément les deux rampes sans jamais se rencontrer, tandis qu’elles peuvent se voir par les fenêtres aménagées dans le noyau creux. Evidemment on a essayé !
Et grâce à cette structure largement ajourée je peux voir, par intermittence en montant, ma doudoue en route vers le ciel, qui peut me voir aussi…Quelle fascinante mise en scène !
Difficile à concevoir, non ? En réalité, cet escalier à doubles-révolutions se compose de deux « vis » s’enroulant l’une au-dessus de l’autre autour du noyau sur trois étages. D’un étage à l’autre, chaque rampe fait un tour complet (ou révolution) autour du noyau. Bon, vous n’y voyez pas plus clair !
Heureusement, le Domaine de Chambord met à disposition ce croquis, les carrés noirs sur les parois indiquant les 3 étages…
Mais comme vous le voyez sur le schéma, tout ne s’arrête pas à la toiture. En effet, à partir des terrasses, l’escalier est surmonté d’une petite vis simple s’inscrivant dans le noyau central qui conduit au sommet de la plus haute tour du château, la tour-lanterne, 56 mètres (ci-dessous vue de l’intérieur), porteuse de la fleur de lys royal défiant le ciel.
Oyez manants ! On peut comme le commun des mortels se réjouir d’un escalier fabuleux où l’on peut descendre et monter, sans se croiser, on peut aussi se sentir obscurément interpellé par cette vrille puissamment ascendante en double hélice si proche des deux troncs enlacés qui représentent l’arbre de vie au Moyen Âge ou du Caducée où chaque serpent-spirale est assujetti à l’axe de la baguette ou… de la structure de l’ADN.
Mais, nous ne sommes pas au bout de notre émerveillement ! Nous voici au 2ème étage sous une voûte à caissons plutôt semblable à celle des églises, mais en anse de panier, ce qui constitue une difficulté architecturale supplémentaire ! Du jamais vu !
Mais ce n’est pas tout ! Quelle voûte ! Quel ciel de pierre ! Ouillouillouille ! on est plus dans la déco, là ! quel vocabulaire ornemental, quelle rhétorique, quelle forêt de symboles !