Châteaux en Pays de Loire 2

VALENÇAY 2

Charles Maurice de Talleyrand-Périgord, prince de Talleyrand, évêque d’Autun et plus tard prince de Bénévent et plus tard Duc de Dino, occupa donc le beau château, son lieu-ressource, de 1803 à sa mort.

© Jacques Bouby, chateau de Valençay
© Jacques Bouby, chateau de Valençay

©Jacques Bouby, Valençay, buste de Talleyrand
©Jacques Bouby, Valençay, buste de Talleyrand

Je n’ai jamais trop été passionné par les meubles (par ignorance, évidemment, d’autant que mon enfance se passa dans … le Formica), mais dans ce cabinet de travail si raffiné avec ce grand secrétaire Empire en acajou et bronze doré et ses sphynx ailés (sphinges, même qu’on devrait dire en cette époque d’orthographe contrariée ! Qui gardent sa tombe ?) offert par Murat, avec ses nombreux tiroirs à secrets (paraît qu’une des colonnes cannelées, gauche ou droite ? permet de dissimuler des armes ; avec ses 2 colonnes de porphyre à chapiteaux ioniques qui supportent les bustes de Voltaire, à droite et de Rousseau à gauche, d’après la sculpture de Houdon ; ce fauteuil anglais à soufflets, souvenir de la dernière mission diplomatique de Talleyrand (T) à Londres et sa petite table de lecture à crémaillère, nous éprouvons une émotion certaine ! C’est sûr ! Le cadavre bouge encore… la « soie de l’esprit français  » respire encore, ici.

© Jacques Bouby, bureau de Talleyrand
© Jacques Bouby, bureau de Talleyrand

Notez qu’il manque ici son magnifique encrier de style Empire qui, entre autre bien sûr … servit à la signature du traité de Paris en 1856. Et pour cause ! Cette belle pièce d’orfèvrerie qui représente un Apollon Musagète au pied duquel deux femmes tiennent une corne d’abondance trônait naguère sur un meuble d’apparat dans le bureau d’Alain Juppé, alors  ministre des Affaires Etrangères… lointain successeur de Talleyrand.

© Jacques BOUBY, bureau de Talleyrand, Valençay
© Jacques BOUBY, bureau de Talleyrand, Valençay

Portrait en pied de Talleyrand (1808), par GERARD François (baron) dont T fréquentait régulièrement l’atelier et qui lui doit tout de sa réussite. Le portrait est resté dans la famille Talleyrand par la lignée du neveu du prince de Bénévent jusqu’en 2012 où il a été vendu au Metropolitan Museum of Arts de New York. Il s’agit donc d’une (bonne) copie.

Congrès de Vienne, par Jean-Baptiste Isabey. Les personnages sont répartis en deux groupes. Le premier se tient près de la fenêtre autour de Metternich qui, debout devant une chaise nous regarde. Le second groupe est encore réuni autour de la table des négociations. Au centre, la chaise vide du président de séance occupe le premier plan. T est assis à droite devant la table, le bras droit posé dessus, prenant le spectateur à témoin.

La table en acajou, ornée de bronze, classée monument historique depuis 1998. En 1814, y fut signé le traité de paix soldant la défaite de Napoléon et remaniant l’Europe, et ramenée par T du Palais Kaunitz ; prêtée en 2017, pour six mois à l’occasion du bicentenaire de la signature du traité, à la Maison de l’histoire brandebourgeoise-prussienne de Potsdam.

Madame Grand, alias Catherine Noël Worlee, peinte en 1783 par Élisabeth Vigée Le Brun.

Catherine Noël Worlee dite « la belle indienne » est créole, c’est-à-dire dans la langue de son époque, issue d’une famille européenne et née aux Indes, dans l’état de Madras. Son père, chevalier de Saint Louis était «capitaine pour le roi» à Pondichéry, puis Chandernagor.

La plus jolie personne de la colonie : sa grâce de créole et l’incarnat de ses lèvres lui valurent quelques madrigaux savamment tournés et une initiation tout aussi savamment menée aux… choses de la bagatelle. Se marie avec Georges Gand, haut fonctionnaire de la Cie des Indes. Las, hélas, l’adorable madame Grand, à la cuisse légère et l’œil polisson, fait … des ravages dans la colonie, tant et tant que son mari la fait embarquer pour l’Angleterre. 

C’est à Londres que Élisabeth Vigée Le Brun la rencontre et peint son portrait en 1783. Elle a 20 ans. Magnifique. D’aucuns prétendent que ce serait une des plus belles réalisations de Vigée Le Brun.

Mais comment diable et pourquoi Talleyrand l’a-t-il épousée, et … à l’église bien sûr !  en 1802, cette splendide hétaïre baignant dans le luxe, le stupre et la fornication ? 

Voyez l’affaire : un évêque de 48 ans excommunié et une femme mariée de 41 ans !!! contre l’avis de Napoléon et bien entendu celui du Pape, que T. a failli rendre FOU ! D’après mes informateurs, ce dernier en aurait même avalé sa tiare ! 

Ce monstre, euh, ce prince est un GÉNIE. Jugez : Catherine est doublement mariée, dans le rite protestant et catholique avec son Monsieur Gand. Diable, diable …comment l’amener à l’autel pour une nouvelle union, avec calme et détachement ? Compliqué ! Compliqué ! diraient en choeur nos discoureurs de médias aujourd’hui…Oui, mais T. ne l’est pas : suivez bien ! Il fait expédier l’encombrant mari au … Cap de Bonne Espérance, et nommé fissa conseiller de régence, avec 2000 florins l’an ; à la mairie, la belle Catherine se déclare… veuve et … dans la foulée, se rajeunit de 4 ans, quant à T, il déclare sa mère … morte (alors qu’elle vit en Allemagne, émigrée et ne rentrera à Paris, amnistiée qu’en 1803) ; le lendemain, mariage à l’église, mais si, mais si !  après nécessaires confessions, bien entendu ! 

Notez qu’Il fallait des témoins bien proches et fort sympathisants ou pas très regardants, pour signer… de tels actes aussi tordus. Et pour amamadouer Bonaparte (B) ? Fastoche, comme d’hab, par le soupirail du bas : Catherine est devenue amie de l’Impératrice Joséphine, grande conseillère de B dans le déduit, et la-toujours-bien-belle Catherine vient se répandre en larmes avec grande régularité aux pieds de B : il signera le contrat de mariage le9/09/1802. Ecco.

Balèze, le Prince qui défie l’Organisation, le Pouvoir, le Pape, l’Eglise et … les préjugés ! « L’homme est une intelligence contrariée par des organes » écrit-il !

Néanmoins, la question persiste : Comment cet aristocrate de haute envergure à l’indépendance dédaigneuse a-t-il pu é-pou-ser cette beauté vénéneuse et… quelque peu cocotte ?

Autoportrait d’Elisabeth Louise Vigée-Le Brun (1970). C’est une copie, l’original est aux Offices, à Florence.

Très fines et jolies chinoiseries. Grand collectionneur, grand amateur d’art et grand voyageur T a amassé des milliers de merveilles, sans compter les très nombreuses « douceurs diplomatiques » qui pleuvaient à chaque occasion. Collections plusieurs fois dispersées lors de ventes aux enchères au gré de la fluctuation de ses « affaires ». Ne dit-on pas qu’il a vendu à deux reprises sa bibliothèque ?

© Jacques BOUBY, Chinoiseries, Valençay
© Jacques BOUBY, Chinoiseries, Valençay

NB : Très à la mode, les meubles avec des pieds en forme de pattes de lion voire de pieds d’hommes… !

Admirez la hotte de cette cheminée, cette magnifique corbeille de fleurs qu’encadrent les armes, chiffres et portraits en macarons de Louis d’Estampes et de Marie, son épouse, témoin de leur goût, très… Renaissance.

Papiers peints en grisaille de la manufacture de Dufour : les tribulations de Psyché.

©Jacques BOUBY, Psychée et ses soeurs, Valençay
©Jacques BOUBY, Psychée et ses soeurs, Valençay

Petit rappel de cette scène mythique qui a alimenté abondamment tous les Arts : Éros qui a enlevé Psyché lui rend visite toutes les nuits mais la quitte avant l’aurore et lui enjoint de ne jamais chercher à voir son visage. La belle jeune femme savoure de plus en plus les étreintes du – c’est bien connu – meilleur amant du monde et les mots doux régulièrement chuchotés de ce poète hors pair. Mais cet amant nocturne n’a toujours pas de visage, ni de nom d’ailleurs. Et pour la piquer au vif, ses soeurs jalouses déclarent qu’il ne peut s’agir que d’un horrible monstre de l’oracle qui, à coup sûr va la dévorer bien bon une nuit de grande et folle étreinte ! 

La scène la montre avec une lampe à l’huile tentant de percer le mystère et découvrant le radieux et lumineux visage et le sublime corps de l’endormi…

Dorothée de Courlande, duchesse de Dino, Portrait par Joseph Chabord. A été la compagne très aimée et estimée de Charles-Maurice de Talleyrand, elle est l’épouse de son neveu Edmond ; 39 ans les séparent et… T a été l’amant de sa mère.

Mais, de plus en plus conquis par son charme irrésistible, sa haute culture et sa grande intelligence, T l’emmena au congrès de Vienne pour y tenir sa maison, ce qu’elle fit à la perfection. A 22 ans, elle éblouit tous les congressistes et… deviendra sa compagne, son amie la plus chère, sa conseillère dans bien des domaines, y compris diplomatique. Elle restera à ses côtés jusqu’à la disparition de l’homme qui l’a le mieux comprise et protégée. « Pas de diplomatie sans femme, pas de politique sans femme »

Talleyrand a adoré les femmes qui le lui ont bien rendu. Ah ! Je sens que je suis en train, d’affliger les âmes pieuses. Monsieur de Talleyrand n’était-il pas prêtre ? Si fait, si fait ! ordonné en 1779. Il a donc fait vœu de pauvreté, chasteté et obéissance ? Si fait si fait ! renouvelés quand il fut sacré évêque en 1789. 

Comprenez! Pour un rejeton d’excellente famille, c’était Le Rouge ou le Noir ; son pied bot le recala pour la carrière militaire, restait la soutane. Il prévint toutefois : « On me force à être ecclésiastique, on s’en repentira »

En effet il mania le … goupillon avec plus d’enthousiasme et de bonheur que le sabre. La chasteté, n’est définitivement pas une valeur … cardinale, plus même, il annonce la couleur : « Les abbés ont cet avantage pour les femmes : elles sont sûres du secret et leur amant peut leur donner autant d’absolutions qu’elles font de péchés avec lui. »

Et en vérité, notre futur évêque ne détestait pas mettre la main au bénitier… de quelques paroissiennes, dès 1770 où il porte l’habit noir des séminaristes. Il a 16 ans. Il le raconte volontiers dans ses Mémoires. Il est clair que ses 3 membres inférieurs n’étaient pas tous affectés par le « syndrome de Marfan », un bug génétique : pied bot varus équin congénital dit idiopathique.

Ce diable euh, cet évêque qui boîtait bas a dégrafé plus de jupons qu’il n’a usé de chasubles. (NB il n’aurait dit que 7 messes dans sa vie, comprise celle de son ordination). Ses aventures furent toujours brèves, enchevêtrées mais, comme il restait toujours l’ami de ses ex-maîtresses, c’est tout un essaim de femmes et du meilleur monde qui gravita autour de lui. Napoléon disait qu’il avait toujours les poches pleines de femmes ! Il les fascinait.

Quel magnifique Canova, Antonio l’immense sculpteur vénitien, en marbre de Carrare ; Hébé, fille de Zeus et d’Héra qui verse le nectar d’ambroisie, aux banquets des dieux (réalisé en 1816) trônant dans le vaste espace de la salle à manger qui pouvait accueillir jusqu’à 70 couverts.

Sculpture, Hébé Château de Valençay-CC BY-NC Jacques BOUBY
Sculpture, Hébé Château de Valençay-CC BY-NC Jacques BOUBY

Quelle femme dans sa magnificence, quelle robe aux replis ondoyants qui s’enroule indéfiniment, quelle habileté à imposer au marbre ce suave tourbillon moelleux ! Admirez les boucles délicates de la ganse à l’arrière, la délicatesse des pieds sur leur écrin cotonneux.

Et dire que Canova n’aimait que les beaux garçons !

Sculpture, Hébé (détail) Château de Valençay-CC BY-NC Jacques BOUBY
Sculpture, Hébé (détail) Château de Valençay-CC BY-NC Jacques BOUBY

Voilà ! À la boutique du château, Doudoue acheta le dernier livre d’Emmanuel de Waresquiel  sur T. et moi-même le Bréviaire de Talleyrand (Si vous en faites la demande je peux vous envoyer gratis un florilège de ses maximes, toutes issues d’un extraordinaire «bon usage des autres ». A lui tout seul T. est une École).

Nous savourâmes le vin de Valençay et son fromage de chèvre en forme de pyramide tronquée.

Ne raconte-t-on pas que c’est Talleyrand soi-même qui est à l’origine de la forme du fromage de Valençay. Car enfin, ces fromages de chèvre, à l’origine en forme de belles pyramides ne risquaient-ils pas d’offusquer l’Empereur en lui rappelant fâcheusement sa malheureuse campagne d’Egypte ??? Talleyrand ordonna donc à son intendant de modifier la forme des moules et de tronquer la pyramide.

© Jacques BOUBY, Chateau de Cheverny
© Jacques BOUBY, Chateau de Cheverny

… Et le soir nous étions à Cheverny

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