CHENONCEAU 1
Encore un château de Dames. Six, cette fois et … femmes de pouvoir, dont trois muses bâtisseuses de haut rang. Rien d’étonnant que ce château paraisse Nymphe indolente endormie, pieds baignés par la rivière du Cher en si beau et plaisant pays. De plus, Chenonceau n’a point de sang sur ses pierres, dans une période d’histoire pourtant bien chaotique. Les gémissements qui s’échappaient de ses voûtes et galeries et jardins, ne furent qu’amours, passions, plaisirs. Vous ne nous croirez pas, mais on le ressent quasi physiquement à déambuler nonchalamment dans une langueur que l’on voudrait plus suave. Et je pense que l’automne doit y être plus mélancolique et charmant que partout ailleurs. Las encore ici, et pourquoi, je vous le demande ? nous n’y étions pas seuls !
La première muse bâtisseuse fut Katherine Briçonnet épouse de … son mari Thomas Bohier, Intendant des Finances de François 1er (encore un sans-dent, qui, promis/juré ne piquait jamais dans la Caisse du Royaume).
Katherine conserve l’ancien donjon de la Tour des Marques, vestige de l’ancien château-fort et fait construire un corps de logis carré flanqué d’élégantes tourelles en cul de lampes, à toit conique avec une galerie et de fort plaisantes ouvertures multipliant les échappées du regard vers l’eau de la rivière. Son nouveau palais tout environné d’eau a des fondations qui rappellent certains palais vénitiens, élevés sur des piles et des pieux. Mais tiens tiens donc ! J’apprends que Thomas Bohier entretenait des relations suivies avec le Doge de la Sérénissime, Andréa Gritti. Et que même, plus tard, son fils Antoine, poursuivi pour … dettes envers le Royaume ira se réfugier à Venise.
Côté ouest : outre le donjon et sa tourelle siamoise qui le rend moins sévère, on peut voir ici les larges douves qui défendaient la vieille forteresse des Marques.
La tour des Marques, donjon de l’ancienne bâtisse est le seul vestige visible de l’ancien château médiéval de la famille des Marques, rasé par les Bohier en 1515.
Mais, notez que la réhabilitation de la tour, grâce au percement de larges fenêtres à meneaux, d’une porte ouvragée, de lucarnes en pierre blanche, et l’ajout d’un clocheton, plus les petites consoles sur le chemin de ronde recouvrant les anciennes archères, témoigne d’une évidente mise au goût Renaissance.
Toute l’esplanade de cette cour avant le passage du pont représente la surface de l’ancienne bâtisse médiévale cerclée de douves, élevée donc sur la terre ferme.
Et voilà le coup de génie de la Katherine : construire sur les deux piles de l’ancien moulin, donc dans l’eau du Cher ! ce pavillon carré avec ses gracieuses tourelles en encorbellement, couronné de hautes lucarnes à pinacle et cheminées délicates, rattaché à la terre par le petit pont.
La suite de la bâtisse est l’œuvre de Diane de Poitiers pour le pont et Catherine de Médicis pour les deux galeries qui le surplombent.
J’aime cette fuite oblique de la façade qui s’échappe vers la lumière de l’ouest avec une élégance que sa vue de face ne procure pas, avec cette multitude de saillies et de reliefs que les ombres accentuent et cette proue de fin navire momentanément (?) amarré.
Ci-dessous, vue du coté est, avec les saillies notables de la chapelle, à droite et à gauche le cabinet qui prolonge la chambre de Catherine de Médicis, assis sur les deux grosses piles maçonnées séparées par l’arche où tournait jadis la roue du moulin.
La deuxième muse bâtisseuse est Diane de Poitiers. Antoine Bohier, fils de Thomas est aux abois, il doit éponger les dettes de son père – euh ! en réalité, une forte amende ! – exigées par François 1er pour… bizarre, bizarre… détournements de fonds ! Il doit céder ses domaines de Chenonceau et des Hourdes et quelques autres broutilles dont la valeur pourtant ne suffit pas à atteindre la hauteur de l’amende. Royal, le bon François lui fait cadeau du reliquat et c’est, mais oui, vous le connaissez désormais, Philibert Babou de la Bourdaisière, l’ayant-droit-de-notre-Marie-Gaudin, surintendant des Finances qui prend possession pour le roi, du château de Chenonceau et en devient l’intendant. François 1er n’en fait pas grand usage à part quelques chasses, trop occupé à Chambord ou à Fontainebleau. Trois mois après la mort de son père, Henri II offre le château à sa divine Diane « en tout droit de propriété, saisine et possession, pleinement et paisiblement et à toujours perpétuellement, pour en disposer comme de leur propre chose et vrai héritage. » Waouhhhh ! Elle n’est pas forte qu’au lit et n’a pas que le regard qui tue, la Diane ! Vous savez déjà l’histoire (cf envoi 11, Chaumont 2)
Sous vos yeux, voici le Jardin de Diane de Poitiers. De gros travaux (14 000 journées d’ouvriers : charpentiers, maçons, charretiers, « gazonneurs », bêcheurs, manœuvres ; on a les comptes : une somme colossale !) pour construire ces levées importantes qui protègent les terrasses des crues du Cher. Comme on le voit, ce dispositif confère ainsi au jardin de Diane l’image d’un îlot verdoyant … en dialogue avec le château sur l’eau, esquissant un presque archipel.
Le Jardin de Diane (12 ha) : la géométrie en est austère, ponctuée par les ifs, fusains, buis et lauriers-tins, rythmant les dessins des massifs, mais, selon les périodes de l’année et les saisons, de nombreux plans de fleurs égayent ces allées (30 000). Inutile de dire qu’il y faut et y fallait un important dispositif hydraulique.
Plus petit, mais raffiné avec ses 5 panneaux engazonnés et ponctué de boules de buis, regroupés autour de l’élégant bassin circulaire, le Jardin de Catherine (11 000 fleurs changées 2 fois par an). La perspective qui ouvre au nord sur le jardin vert et l’Orangerie est l’œuvre de Bernard Palissy.
C’est l’architecte Philibert Delorme, alors dans toute la faveur royale, qui construit un pont reliant le château à la rive gauche, souhaité par Diane afin d’y créer de nouveaux jardins et d’accéder à de plus grandes chasses. Le roi-amant ne pourra inaugurer ce pont, frappé mortellement par la lance de Montgomery.
Sur le pont, la galerie longue de 60 mètres qui se rattache à la rive sur deux étages est l’œuvre de la troisième muse bâtisseuse, Catherine de Médicis qui exigea immédiatement le départ de Diane à la mort de Henri, contre le Château de Chaumont (cf envoi 11, Chaumont 2)
Le nouveau Jardin, inauguré l’année dernière, « Hommage à Russell Page », grand paysagiste anglais du XXè siècle qui a vécu et travaillé en France de 1930 à 1962. Belle œuvre végétale émaillée de créations du sculpteur François-Xavier Lalanne, dans l’espace clos de murs, proche de l’orangerie.