Les Croix d’AUBRAC
Dans ma « tentative – très présomptueuse – d’épuisement du réel » Aubrac, je ne pouvais omettre cet épisode sur les croix d’Aubrac qui sollicitent si souvent l’oeil du photographe.
En un temps où la ferveur chrétienne a largement déserté ces espaces, et que le zeste de piété s’est totalement dissous dans le coeur des hommes, on ne peut qu’être interpellé quand on arpente l’Aubrac par l’opiniâtreté de ces croix, nombreuses qui ponctuent les paysages, les chemins, les routes, les drailles, les puech, les ponts, les carrefours… les sources et bien sûr les villages.
Des photos de croix émaillent tous les épisodes précédents de ce parcours en Aubrac. Celles-ci – en général datées du XVIè – sont riches, princières, finement décorées de scénettes sculptées, oeuvres de tailleurs professionnels dont les réalisations n’ont rien à envier aux opulents calvaires bretons. Elles sont souvent à l’entrée des villages ou dans les villages. Leur structure est à peu près la même : représentation du Calvaire sur la face tourné vers l’orient, avec Marie et Jean au pied de la croix et sur l’autre face, la Vierge tenant l’enfant, généralement accompagnée de 2 saints, avec des fûts torsadés, cannelés ou carrément sculptés. on a noté par exemple toutes les Pieta au bas des fûts à Orlhaguet.
Sans avoir la même finesse, ces crucifiés plus austères affichent une certaine modernité dans la taille du matériau et l’ascétisme des formes.
Cette croix près de Nasbinals présente une belle sophistication avec sa niche creusée à même le bloc de granit, lui-même déjà sculpté en forme de tabernacle, qui contient une Vierge à l’enfant protégée par une solide grille fermée à clé. !?
Sur le haut plateau, ces croix sont plus humbles, taillées dans un granit rustique le plus souvent, comme un cri de foi non apprêté, sculpté plus par la ferveur que le savoir artisanal par des tailleurs amateurs mais fervents (?)
Les croix forgées apparues au XVIIIès. permirent leur implantation très… euh ! photogéniques sur des rocs au naturel renforçant l’immersion, la fusion tout en déployant la métaphore du roc originel, défiant les âges et attestant du fondement insubmersible de la foi, quelles que soient les tourmentes des siècles.
Les croix forgées vinrent parfois remplacer à bon escient des morceaux cassés ou dégradés
Ces deux dernières croix témoignent d’actes de piété ou… de reconnaissance par la présence de chapelet, fleurs, rameau de genêt, ex voto, petits cailloux et la permanence de deux supports de pots de fleurs, atteste du caractère régulier de l’hommage à la croix, trait d’union évident entre terre et ciel.
On peut voir ici l’agencement finement bricolé d’une croix plus récente en fonte aux entrelacs végétaux, elle même réparée par une plaque rivetée rustique, et ajustée sur un fût ancien richement sculpté, grâce à un cerceau forgé au diamètre exact, le deuxième cerceau ayant même peut-être/sans doute permis de conserver le petit bloc de pierre aux 4 modillons. Que voilà un travail d’artisan qui n’est pas … dans « l’air du temps »🤪
Très souvent des fils barbelés viennent rayer disgrâcieusement une belle matière : on fait ce qu’on peut mais c’est très rageant d’autant que la philosophie du barbelé… !!! car très très souvent les croix campagnardes sont en bordure de clôture. Oui, pourquoi ? Ou ? Si c’était les clôtures qui viennent souvent jouxter les croix ? Très souvent. Et après avoir longuement pesté contre ces parasites moches, j’ai compris. Mais c’est bien sûr ! En réalité beaucoup de bornages de parcelles de pâturages étaient jadis matérialisés par des croix.
Nul doute que chacune de ces croix n’ait une histoire propre, circonstanciée, éteinte dans les âges. Pas toujours ! Ainsi à Trélans entre Aveyron et Lozère, la grande Croix du Pal renouvelée plusieurs fois se situe à l’emplacement même où les seigneurs de Pomayrols faisaient empaler leurs ennemis ou… leurs opposants… Manière d’exorciser l’horreur des fourches patibulaires ? Avec deux troncs de châtaigniers en croix !
On a déjà évoqué la Croix des Trois évêques (ci-dessus) et son histoire ici, voici la Croix de la Roda, de granit et de basalte érigée en 1377 par les seigneurs de Peyre au carrefour de deux drailles de transhumance.
Si vous lui trouvez un air un peu trop neuf, c’est qu’elle a été restaurée deux fois tout récemment, suite à d’incompréhensibles dégradations : une première fois en sa partie supérieure, puis l’année suivante sur le fût. Y en aurait-il des … qui croyant ferme en son pouvoir magique, voudraient à toute force faire cesser le sortilège ? A moins qu’un lointain descendant d’une victime des seigneurs de Peyre voulût venger la mémoire de son ancêtre humilié : ce serait excitant et digne d’un Polar de France 3 ! 🤪
Hélas je crains que l’imbécilité la plus consternante soit à l’origine de ces dégradations répétées.
Que dire de celle-ci enfoncée dans les bois dans une extraordinaire solitude : Quel projet ? Quel lieu de mémoire à exorciser/vs/ sanctifier ? Quel acte de reconnaissance ? Quels dangers à conjurer ? Quelle action de grâce ? Quel artisan souverain? Quel commanditaire pour une aussi belle réalisation ?
NB : si la plupart des croix forgées, tout comme les autres demeurent d’un anonyme créateur, un maréchal-ferrant d’Alpuech, Jean Bouldoires (1730-1804) a été repéré comme ayant créé 14 croix dans la région : c’est le résultat d’un beau travail de Philippe Ajalbert dans un livre de véritable investigation.
Il serait facile et … confortable ? de penser que tout ceci appartient au passé. Définitivement !
J’ai déjà évoqué le balisage du Camino qui a multiplié les croix, à la fois signes et guides sur ces parcours de pèlerins qui ont parfois retrouvé les anciennes pratiques de manifestations de la piété, objets ou fleurs déposées au pied des croix, requêtes mêmes, « galets de St Jacques ». J’en ai signalé de toutes récentes érigé sur le Camino en écho de la foi d’antan.
Passé révolu ? avez-vous dit ? Ainsi la croix centenaire du village de Corbière a-t-elle tout récemment été remplacée par une belle croix en châtaignier arborant les instruments de la Passion du Christ. Témoignage mémorial inoublié du temps des bénédictions des récoltes et des troupeaux par le curé de la paroisse à ce même endroit.
Que dire de celle-ci, modeste, bricolée, implantée récemment ? nul doute que son emplacement n’est pas dû au simple hasard !