CHEVERNY 2
Or donc, le Marquis et la Marquise de Vibraye, eux-mêmes de la lignée des Hurault (financiers et officiers au service de plusieurs rois de France) habitent et gèrent le domaine de Cheverny.
C’est pour vous dire que à part quelques interruptions, le château appartient à la même famille depuis plus de six siècles, et comme il a toujours été habité, il présente des pièces de mobilier et des aménagements intérieurs remarquablement bien conservés. Et après avoir visité les autres, nous pouvons confirmer que le château de Cheverny est le plus richement meublé.
La Salle à manger serait intéressante au regard, si l’œil n’était irrémédiablement attiré par l’invraisemblable bric à brac qui recouvre la table. Foutoir disparate, et horriblement hétéroclite et je vous prie de noter que je n’ai rien contre les flamants roses !
Et je redoute que fascinés par ce capharnaüm criard, les visiteurs en oublient de voir et d’apprécier les murs tendus de cuir de Cordoue et d’origine ! S’il vous plaît ! le beau plafond avec les Cariatides dorées-sur-sein, les meubles aux sculptures délirantes, la cheminée dorée à l’or fin avec le buste d’Henri IV, dont le père du constructeur était le Chancelier.
Où l’on découvre avec ravissement et forte allégresse que … Mazarin inventa l’assiette creuse, que Richelieu trouvant in-sup-port-ta-ble que ses hôtes attablés se curent les dents avec la pointe de leur couteau, fit fissa couper et arrondir l’extrémité des couteaux. Et Toc ! Que les verres de Murano remplacèrent avantageusement les gobelets d’étain ou d’argent. Que Catherine de Médicis introduisit la fourchette sur nos tables. Que la toute jeunette Anne d’Autriche introduisit la boisson du chocolat agrémenté de gingembre et autres aphrodisiaques qui mettent le feu aux… corps, font grimper la libido et trembler les Ecclésiastiques.. Que la reine de Reims, Madame Cliquot Ponsardin inventa la table à remuage qui améliore grandement le Dom Pérignon…
Et, voici surtout, tout autour de la Salle à manger et dans le couloir, les 34 panneaux de bois peints par Jean Mosnier et racontant les « hauts faicts »de Don Quichotte de la Mancha.
★ En vérité, c’est toute la décoration intérieure du château, achevée dans les années 1630-1640 par Élisabeth, marquise de Montglas, fille d’Henri Hurault, qui est l’œuvre de Jean Mosnier, peintre né et mort à Blois.
Savez-vous que ce peintre-verrier rencontre la reine Marie de Médicis alors qu’elle est en exil au château de Blois ; elle l’envoie en Italie afin qu’il complète sa formation. Il y reste huit ans et se lie avec Poussin durant les quelques mois qu’ils passeront ensemble à Rome. À son retour en 1623, il travaille pour la reine au Palais du Luxembourg, et c’est après ces travaux qu’il va être chargé du décor de Cheverny.
Alorsse ? s’interrogerait-on avec raison, pourquoi un cycle de scènes (apparemment en désordre) du Don Quichotte ? Ici, à Cheverny de bonne France ? Eh bien, PARCE QUE !
1- Il est de bon ton que l’aristocratie montre son intérêt pour les textes littéraires à succès et joue royalement les mécènes
2- Le roman de Cervantès devenu vite célèbre donc incontournable, est traduit dès 1614 : évènement contemporain il suscite l’intérêt de Jean Mosnier et … son commanditaire.
3- Le cycle important (34 en tout, entre la Salle à manger, et la Galerie-couloir qui la jouxte) des scènes participe à positionner Jean Mosnier comme peintre capable de représenter un texte littéraire d’une grande complexité narrative. Et avec brio, puisque même des éditions espagnoles reprendront pour leur couverture des peintures du cycle de Mosnier
Hélas, trois fois hélas, il est impossible de s’approcher des panneaux, l’accès au fond de la salle à manger est barré. Tourisme de masse oblige !
En me contorsionnant beaucoup, et … redressant plus tard pas mal l’image avec DXO, je vous ai rapporté la scène (inoxydable) où le « chevalier » bien moulu et mal errant se bat avec grande fougue contre les moulins à vent et au moment où il perçait l’aile d’un grand coup de lance, le vent violent la met en mouvement avec telle furie qu’elle emporte hidalgo et Rossinante qui s’en allèrent rouler sur la poussière, en fort mauvais état. On voit ici Sancho Panza accourir sur son âne à trot et peut-être à galop au secours de son maître totalement anéanti. Le tableau d’à côté illustre la scène du combat contre les outres.
★ Vous voulez un scoop ? Alors, tenez-vous bien ! Contrairement à ce qu’écrivent les Guides touristiques et même le très sérieux (et bien fait) Livret officiel du Château, seulement treize des tableaux subsistant datent du XVIIè siècle et ont été peints par Jean Mosnier ou son atelier dans les années 1630-40 ! Treize ??? Oui ! Plus deux qui sont dans les magasins du Château de Blois. Quoi ? Pas possible ! Et les autres ? Les vingt-trois autres ont en vérité été peints au … XIXè siècle pour compléter la série car lors des différents aménagements/réaménagements, démolitions, redispositions et nouveaux agencements du château, de nombreux tableaux ont été dégradés ou ont disparu.
Bon, pas grave direz-vous, on a toujours les 34 panneaux. Que nenni ! Ce n‘est pas du tout le même art, ni la même créativité, car, alors que Jean Mosnier menait un travail très minutieux de l’interprétation, de la séquentialisation et de l’illustration directement à partir du texte, le peintre du XIXè, lui, s’est borné à reprendre (à recopier, il faut le dire ! ) des dessins parmi les sept cent que l’artiste Tony Johannot avait créés pour l’une des éditions les plus célèbres et populaires de Don Quichotte jamais parue, publiée à Paris en 1836 à 1837. Eh oui ! C’est çà les jeunes générations : Copier/Coller !
Et le pire, c’est que ma photo reproduit un de ces tableaux (faux) mais, pas de panique, nous retrouverons le vrai Mosnier à l’étage.
Cette position centrale de l’escalier était la grande nouveauté de l’architecture de la Renaissance (Chambord, Azay-le-Rideau, Bury, première version de l’aile Lescot du Louvre)
Salle d’Armes : Cheminée de bois sculpté et doré, qui s’élève jusqu’au plafond surmonté par le H des Hurault. Dans le cadre, peinture de la mort d’Adonis où Vénus éperdue descend de son char et va se jeter sur le corps mourant de son bien aimé : cadre tenu par des putti et flanqué de sculptures en ronde bosse, à gauche Mercure et Vénus avec son … Cupidon à droite, euh ! lesquelles, à coup sûr, ne sont pas des chefs d’œuvre !
Toute la pièce est recouverte de lambris peints de figurines, de fleurs (beaucoup) émaillées de citations en latin peintes sur des banderoles.
Chambre du Roi, car Henri IV y aurait dormi, dans le grand lit à baldaquin recouvert de broderies persanes. La Chambre du Roi est la plus richement décorée avec huit tapisseries réalisées vers 1640 (six dans la chambre, deux sur le palier), d’après des cartons de Simon Vouet, représentant les travaux d’Ulysse ; celles-ci proviennent de la manufacture de Paris qui est antérieure à celle des Gobelins.
NB : Non seulement on ne peut pas s’en approcher, mais elles sont « protégées » ? par un plexiglass… car NON , ma photo n’est point floue !
Le plafond à caissons à l’italienne est lambrissé avec des peintures illustrant l’histoire de Persée et Andromède, réalisées par notre Jean Mosnier.
Dans le morceau du cadre tout à gauche, on aperçoit maman Danaë portant bébé Persée dans ses bras.
Dans le cadre rond, juste à l’aplomb de la cheminée, Les Grées, 3 sœurs : la terrifiante, la belliqueuse et la méchante, nées déjà ridées et avec des cheveux gris. Elles n’avaient qu’une dent et un œil pour elles trois, qu’elles se partageaient à tour de rôle : tandis que l’une veillait, pouvait se restaurer et interdire le passage menant vers leurs sœurs les Gorgones (dont elles étaient les seules à connaître le repaire), les deux autres dormaient, dans une grotte obscure.
On voit ci-dessus Persée s’emparer de l’œil unique des 3 soeurs en leur assurant qu’il le leur rendrait à condition qu’elles lui révèlent (révélassent !) la route pour se rendre chez les Nymphes. Mais Mosnier a ici réduit les Grées à … deux. Ma foi !
Persée délivre la très belle Andromède, exposée nue et enchaînée sur un rocher, à deux doigts d’être dévorée par le monstre marin auquel elle a été livrée, lequel évidemment déteste, c’est bien connu, brouter de l’étoffe, pas même du taffetas, pas même la moindre petite culotte.
Persée coupe la tête de Méduse, la seule Gorgone mortelle.
Nul doute que la profusion de Putti peints sur fond d’or émaillant le plafond est d’inspiration italienne.
Dans la première photo de la salle, sous les bougies du grand cadre de la cheminée (où Persée conduit par Minerve, la tête de la Gorgone au poing, pétrifie ses rivaux et en particulier Phinée, le prétendant éconduit d’Andromède), zoomez sur une espiègle danse des Putti jouant avec la tête de Méduse.
Le magnifique Grand Salon ; dans le cadre, un Pierre Mignard.
Oh surprise divine … mais c’est Jeanne d’Aragon, de Raphaël !
En fait, le personnage représenté est Dona Isabel de Requesens, épouse du duc de Somma et vice-roi de Naples de 1509 à 1521. On pense que l’œuvre a été probablement commandée en 1518 par Léon X, pour être offerte comme cadeau diplomatique à François Ier par le légat du pape en France.
En vérité je ne saurais dire pourquoi, quand et comment ce tableau se retrouve ici mais il est extraordinaire de rencontrer un peu partout toutes ces copies d’époque, parfois même des doubles réalisés par un élève dans l’atelier même de l’artiste. Des FAUX, dirait-on aujourd’hui ! Souvenez-vous de notre bonheur l’an passé, au Palais des Borroméo où 130 tableaux de grands maîtres étaient reproduits ! La copie d’époque était très à la mode et notre ami Talleyrand en faisait même réaliser par le peintre Gérard.
Comme l’éclairage est désagréablement jaunâtre et pourri par le contrejour du miroir qui le jouxte (et pourtant vous pouvez vérifier que j’ai fait de mon mieux !), je prends la liberté de vous montrer de près la merveille et en gros plan, mais la vraie, celle du Louvre. Une splendeur de tableau ! D’abord peinture à l’huile sur bois puis, transférée sur toile, datant de 1518 environ. Un de mes amours ! Mais, c’est vrai, on peut se rendre compte à quel point les rapins sont finalement fort importants, car ils nous aident à apprécier grandement les maîtres.
Nul doute que les autres pièces des appartements privés, Chambre des naissances, Chambre des mariés, petit Boudoir rouge, Chambre d’enfant, Salle à manger familiale, Petit salon, présentent incontestablement de l’intérêt mais les petits marquis ont eu l’idée « sotte et grenue » d’introduire à profusion des constructions en Lego en tous points en tous lieux ! Exposition Lego, baptisée « Cheverny à la Renaissance » qu’ils ont l’immense culot de déclarer événement labellisé » Viva Leonardo Da Vinci ! » Tout et n’importe quoi « qui puisse réunir petits et grands ». (sic !)
Regardez ce triste exemple, avec, on le devine sans peine même avec un très faible Q.I., la thématique des oiseaux puisque Hitchcock y trône, en légo bien sûr alors que la jolie chambre délicate avec son antique berceau est envahie, farcie, infestée de volatiles en légo grouillants et polluants et de surcroît suprêmement moches. Il y en a partout : sur le rebord du lit, sous le berceau, sur la table de nuit, près du vase, sur la commode, sur la coiffeuse et sa psyché, sous le guéridon, sur et sous l’écritoire… Une abomination désolante dont on mesure mal l’intérêt visuel et encore moins culturel. Non, je n’ai rien non plus contre les Danois … qui ont inventé le Lego !
Bref, Je ne vous ai gardé que l’adorable petite Bibliothèque et Salon de musique dans sa jolie lumière rousse tamisée, dont les petits marquis ont condescendu à respecter la délicatesse et l’historicité.