Châteaux en Pays de Loire 10

CHATEAU de BEAUREGARD

La « maison des champs » de Jean Du Thier, encore un sans-dent, contrôleur général des finances, de son état !

Chateau de Beauregard-CC BY-NC Jacques BOUBY
Chateau de Beauregard-CC BY-NC Jacques BOUBY

Chateau de Beauregard-CC BY-NC Jacques BOUBY
Chateau de Beauregard-CC BY-NC Jacques BOUBY

Peu de pièces sont ouvertes au public. Mais ! Oh ! Pas la quantité, rien que la qualité car… nous voulons la qualité encor… sans rien qui pèse ou qui pose. Et, nous avons été servis. Au diable donc, la cuisine du XVIè et son habituelle armée de casseroles, louches, moules, lèchefrites et huguenotes !

Au diable même, oh blasphème ! l’horloge maîtresse réalisée en Hollande et datée de 1711. D’accord, les bateaux du port d’Amsterdam y oscillent sur les vagues au rythme du balancier. D’accord, le carillon y résonne toutes les demi-heures et peut vous gratifier de menuet, de gavotte, de gigue, ou d’aria.

Mais Non, c’est vers l’étage qu’il faut se hâter. Deux splendeurs à ravir : le Cabinet des Grelots et la Galerie des Portraits.

  • Chateau de Beauregard, Cabinet des Grelots-CC BY-NC Jacques BOUBY
    Chateau de Beauregard, Cabinet des Grelots-CC BY-NC Jacques BOUBY

Le Cabinet des Grelots : la mode de ces cabinets d’étude, ou « studiolo » entièrement coffrés de boiseries 
sculptées est née en Italie au XVIè siècle et s’est largement diffusée en Europe 
(Nous/et vous avons déjà admiré celui de Catherine de Médicis et ses 237 panneaux au château de Blois (Épisode 7). De la même manière, de multiples et discrets placards recelaient documents et livres.

Les boiseries, en chêne, furent commandées par Jean du Thier à Francisque Scibec de Carpi,
 ébéniste italien du roi Henri II, et réalisées à Paris en six mois seulement, en 1554.
 Cet artiste réalisa notamment les lambris de la galerie François 1er à 
Fontainebleau, le plafond de la chambre d’apparat d’Henri II au Louvre 
et travailla aussi pour Diane de Poitiers au château d’Anet.

Le plafond à caisson à l’italienne et ses 8 petits hexagones gravitant autour d’un grand octogone est riche et très finement sculpté. Dans la partie supérieure des boiseries, sont enchâssées des toiles réalisées par des artistes locaux à partir de cartons de Niccolò dell’Abbate, ici, ci-dessus à droite, la Musique, la Guerre, la Chasse. Au centre du lambris qui couvre la cheminée, est présentée une copie de
 Diane chasseresse.

Chateau de Beauregard, Cabinet des Grelots-CC BY-NC Jacques BOUBY
Chateau de Beauregard, Cabinet des Grelots-CC BY-NC Jacques BOUBY

En son centre, le plafond porte les Armoiries de Jean du Thier,  » trois grelots d’or sur un fond azur « , blason qui constitue les éléments décoratifs majeurs et qui ont donné son nom à la pièce.

  • Chateau de Beauregard, Cabinet des Grelots-CC BY-NC Jacques BOUBY
    Chateau de Beauregard, Cabinet des Grelots-CC BY-NC Jacques BOUBY

Copie (tronquée) du tableau célèbre d’un artiste anonyme de la première École de Fontainebleau représentant Diane Chasseresse avec les attributs mythologiques de Diane (Artémis) l’arc, le carquois, les flèches et le croissant de lune dans les cheveux. Cette peinture qu’inexplicablement je trouve assez régulièrement attribuée à F. Clouet (et même sur des sites de monuments-historiques-très sérieux !) montre l’influence de la statuaire antique sur les peintres de l’École de Fontainebleau. L’attitude de la déesse semble s’inspirer d’une sculpture grecque intitulée la Diane à la Biche, dont un exemplaire fondu en bronze par Primatice se trouvait à Fontainebleau au XVIè siècle. L’original du Musée du Louvre, présente le personnage intégralement en pied, à la lisière entre le monde sauvage et civilisé avec son lévrier « en lévitation »… Il s’agirait d’un portrait de Diane de Poitiers, l’unique et grand amour d’HENRI II, (20 ans d’amour) d’une beauté à défier le temps … et à rendre folle Anne de Pisseleu, maîtresse de François 1er.

 Et oui ! nous comprîmes assez vite que les dépliants pense-bête pour les nuls, sur les rois et les reines de France (« ces reines qui ont fait la France » ! kidisent : beau bla bla !) que nous avions acheté à Cheverny, nous seraient d’un bien piètre secours pour connaître l’histoire VRAIE de France, car il y manque l’essentiel : un dépliant pense-bête pour les nuls sur les maîtresses et courtisanes du Royaume ! qui, elles, non seulement ont fait la France mais ont gaillardement triomphé de nos rois, même les plus invincibles ! Et nous sommes TOUS des NULS, tant on nous a TOUT caché !

Quoi qu’il en soit nous entendrons souvent parler de Diane de Poitiers au cours de notre périple tant elle est omniprésente en tous lieux de royauté et de haute noblesse. Surtout que grande amatrice d’art, elle s’est entourée de brillants artistes qui n’ont eu de cesse de la célébrer et… sous toutes ses coutures… son grain de peau étant inimitable !

Chateau de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY
Chateau de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY

Et là, soudain, vous êtes dans l’antichambre de l’immortalité, vaste salle de 26 mètres de long et 7 de large où, sur TOUS les murs, des personnages vous regardent en rang serré : et il y en a… 327 ! Et là, sur trois rangs, tout autour de la pièce, sur chacun des portraits peints sur toile grands comme des miroirs de toilette écrit La Fontaine, mesurant en moyenne 55 cm par 45 cm, défilent des personnages dont on peut juger que ce ne sont pas gens de petite étoffe.

Chateau de Beauregard, plafonds en lapis-lazuli-CC BY-NC Jacques BOUBY
Chateau de Beauregard, plafonds en lapis-lazuli-CC BY-NC Jacques BOUBY

C’est la Galerie des Portraits, entièrement pavée de 5600 carreaux en faïence de Delft datant du XVIIè siècle. Sur les carreaux, qui sont dégagés sur les bords mais protégés au centre, des chevaliers sont représentés, illustrant les différents corps d’une armée en ordre de marche sous Louis XIII. On compte 17 corps de régiments, en costume  inspirés de gravures de Jacques De Gheyn. Levez les yeux : un spectaculaire plafond peint à la poudre de lapis-lazuli, dont la notice de visite tient à nous préciser que ce magnifique pigment venu du fond de l’Afghanistan valait… 7 fois le prix de l’or, à l’époque.

Chateau de Beauregard, plafonds en lapis-lazuli-CC BY-NC Jacques BOUBY
Chateau de Beauregard, plafonds en lapis-lazuli-CC BY-NC Jacques BOUBY

Cette GALERIE DES ILLUSTRES recouvre donc, en 327 portraits, 315 ans d’histoire, de l’accession au trône de Philippe VI de Valois en 1328 jusqu’à la mort de Louis XIII en 1643, alors en exercice quand la collection est conçue 15 souverains pour 15 règnes, 21 femmes et… 6 Reines de France seulement. Je l’ai déjà dit plus haut dans la rubrique « On nous cache tout, on nous dit rien », très peu d’entre elles purent s’extraire de leur rôle convenu de génitrice d’héritier mâle et c’est bien maîtresses et courtisanes qui ont réellement influencé le pouvoir politique ! Ecco !

Château de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY

Mais, plus que d’histoire de France, c’est d’histoire et de politique européenne qu’il s’agit. Et nous félicitons les propriétaires Natalie et Guy Du Pavillon pour l’excellente et riche documentation qui jalonne la visite. Une vraie et … délicieuse leçon d ‘histoire.

Au gré des alliances et des guerres, toute l’histoire européenne se déroule. Rois et Reines, Empereurs, Papes, Généraux et Ministres d’Europe, jalonnent la galerie. Jusqu’aux Sultans Turcs qui, de Mourad Ier à Soliman le Magnifique, témoignent de la puissance ottomane.

C’est Paul Ardier (propriétaire de 1619 à 1638) passionné d’histoire politique et ministre des finances de trois rois différents (Henri III, Henri IV et Louis XIII) qui se jeta dans une telle entreprise. Il constitua en 2 ans, une liste de personnages historiques. Il avait alors 72 ans, après 50 ans de service à la couronne et (donc !!!) ministre très riche. Il mourut à 92 ans sans voir la galerie telle qu’il l’avait imaginée.

Château de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY

🔎 J’ai déjà signalé cette mode des galeries de portraits dans l’envoi n° 7. On peut en faire remonter l’origine à Paolo Giovo, né à Côme en 1483, Médecin, grand lettré, humaniste, proche conseiller du pape Clément VII (ex cardinal Jules de Médicis). Il servira trois papes et arpentera plus de vingt ans les couloirs du Vatican. C’est à la fois un témoin et un acteur de l’histoire, un homme de dossiers et un diplomate efficace ; il est plusieurs fois légat du pape, voyage en Europe, connaît les princes de son temps. À partir de 1521, Giovo se lance dans un projet pharaonique qui sera l’âme de sa vie : réunir les portraits des hommes illustres, de l’Antiquité jusqu’à son temps.

Et, c’est le nom de « Musée » qu’il va donner à cette idéale galerie de portraits, en hommage aux Muses inspiratrices de la science et des arts. Il fait donc construire à Borgovico en 1538, au bord du lac de Côme, sur le site de l’ancienne villa de Pline le Jeune, un édifice de grande élégance, conçu pour abriter sa collection, au final près de 400 toiles ! Le concept de Musée était né. La collection connut un retentissement considérable en Europe et les Médicis en commandèrent une copie. C’est ainsi que dès la fin du XVIè, le goût pour les galeries de portraits se diffusa en France.

Comprenez donc que la galerie de Beauregard n’est en rien une initiative isolée, et s’inscrit au sein d’une mode mais elle a l’immense mérite… d’avoir été conservée et dans un magnifique état. La différence avec la collection de Paolo Giovo est qu’ici, ignorant les artistes et les hommes de lettres, Paul Ardier n’a retenu que des personnages liés à l’histoire et à la politique.

Deux personnages sont représentés en pied ou en cheval, Louis XIII de France et Henri IV de France.

Château de Beauregard, Galerie des portraits, Henri IV-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Beauregard, Galerie des portraits, Henri IV-CC BY-NC Jacques BOUBY

Le grand portrait équestre d’Henri IV est placé sur la cheminée datée du XVIè : Henri IV, prince sans armure, sur un cheval au galop, avec en arrière plan la Seine et Le Pont Neuf à Paris.

C’est un portrait du bon roi comme on aime à le voir, en excellent cavalier, énergique et entreprenant.

Panache et écharpe au vent, main droite et sceptre sur la diagonale montante indiquant sans ambage le but à atteindre et la direction à suivre tout en fixant des yeux le spectateur. Crinière au vent, tête légèrement tournée vers la gauche, queue relevée et nouée, musculature puissante, fière allure, légèrement cabré, même le cheval participe à l’effet théâtral dynamique !

Château de Beauregard, Galerie des portraits, Louis XIII-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Beauregard, Galerie des portraits, Louis XIII-CC BY-NC Jacques BOUBY

Le tableau représentant Louis XIII est copié d’après la toile de Philippe de Champaigne, visible au Louvre.

Le roi porte une armure richement ouvragée. De longues bottes, magnifiques et blanches munies d’éperons rappellent l’importance de la dimension équestre dans la guerre et dans le commandement à cette époque. Roi de guerre et roi-cavalier, Louis XIII est également un homme de cour – les fines dentelles répondent en échos à la blancheur des bottes – et surtout un souverain – le cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit, les fleurs de lys décorant les festons de l’armure et l’écharpe blanche fleurdelisée. Louis XIII arbore une longue chevelure, une fine moustache en croc et une barbiche pointue, tous éléments de coiffure correspondant à une vraie mode. À côté du roi, son casque empanaché achève la posture martiale et souveraine.

Château de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY

Wallaï ! mékisésuila là, au turban ? Oui, vous avez bien vu, c’est Soliman, le sultan ottoman, Soliman le Magnifique, qui non seulement est le patron de la Sublime Porte mais encore incarne l’Ombre de Dieu sur terre ! Avec lequel s’alliera François 1er ! Sacrilège, cette « scandaleuse alliance » entre le roi « Très Chrétien » et le « Grand Turc » sèmera stupeur, colère, consternation et frayeur.

Cette alliance entre la Fleur de Lys et le Croissant est considéré aujourd’hui par les experts comme l’acte le plus décisif, le plus hardi, le plus libéral de la diplomatie française. Il s’agissait de contrebalancer l’extraordinaire puissance de Charles Quint gros m’as-tu-vu, matamore, qui clamait, l’olibrius : « En mi imperio, no se pone nunca el sol » (« Sur mon empire, le soleil ne se couche jamais »), et encerclait la France par les vastes territoires de la Maison de Habsbourg.

Et bien, sans jamais se rencontrer, à partir de 1535, le roi français et le sultan ottoman entameront une correspondance, qui va se muer en amitié durable, suscitant une controverse et une bataille de Com’ monumentale dans toute l’Europe. Et même L’Arétin vrai condottiere de la plume, ne se priva pas de véhémentes invectives dans son habituel vocabulaire extravagant, incisif et obscène. Il est vrai que Charles Quint lui avait accordé une pension annuelle de deux cents écus !!! de quoi alimenter copieusement les insultes envers François 1er.

NB : N’est-ce pas l’ambassadeur auprès de la Sublime porte qui apporta à François 1er, de la part du Magnifique, plusieurs arbres dont le prunier ? Le Roi en baptisa aussitôt le fruit : la « reine-claude » en l’honneur de Claude de France, sa reine. C’est vrai qu’il la préférait en confiture.🤪

Château de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY
Château de Beauregard, Galerie des portraits-CC BY-NC Jacques BOUBY

Et pour la réalisation de ce splendide écrin décoratif tout à la mesure de cette spectaculaire collection, à qui, les petits enfants de Paul Ardier s’adressèrent-ils ? Mais … à la famille Mosnier, dont vous avez admiré les oeuvres au château de Cheverny. Pierre, le fils de Jean Mosnier représenta les devises et les emblèmes des Rois de France sur les boiseries situées sous les portraits décorées par son père.

Chateau de Beauregard-CC BY-NC Jacques BOUBY
Chateau de Beauregard-CC BY-NC Jacques BOUBY
Chateau de Beauregard, plafonds en lapis-lazuli-CC BY-NC Jacques BOUBY
Chateau de Beauregard, plafonds en lapis-lazuli-CC BY-NC Jacques BOUBY

Voilà, nous prîmes notre repas à l’Orangerie du château avant d’arpenter le parc et le Jardin des Portraits créé en 1992 par Gilles Clément et constitué de 12 jardins rappelant les 12 groupes de portraits de la galerie du château.

  • Chateau de Beauregard-CC BY-NC Jacques BOUBY
    Chateau de Beauregard-CC BY-NC Jacques BOUBY

Et le soir nous dormions au bord de la Loire.

Bords de Loire, Chaumont-CC BY-NC Jacques BOUBY
Bords de Loire, Chaumont-CC BY-NC Jacques BOUBY

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