En route pour le SHEKHAWATI (2)
Et rapidement s’installe sous nos yeux un paysage sahélien, bien familier, laissant se succéder des collines de sable piquées ça et là d’acacias, dans une broussaille indéfinissable plutôt moribonde.
Quelques coulées vertes trouent par endroits le beige sablonneux de ces espaces aux tons pâles, exténués. Quelques puits en effet péniblement creusés permettent la culture de millet, arachide et lentilles.
La route sensiblement déserte mais en bon état traverse quelques villes poussiéreuses aux bâtiments plutôt délabrés. Voici quelques photos de rencontres faites aux haltes du voyage pour rythmer le temps : environ 4 heures trente de route.
L’universel tuk-tuk, tricycle motorisé, d’une incroyable résistance, sans porte. On a même réussi à installer une galerie sur sa fragile capote…
L’énorme empire industriel indien Tata Motors fabrique la plupart des véhicules utilitaires, omniprésents sur les routes de l’Inde…
La chaleur est forte et nous ne sommes qu’en mars, elle génère une brume blanche et sèche qui se parsème de taches de couleur rose, jaune, rouge des turbans et des sari quand hommes et femmes s’activent dans les parcelles cultivées.
Ce sont ces espaces que traversaient jadis des bandes farouches de Rajputs qui s’affrontaient dans d’interminables luttes de pouvoir.
Ce territoire au centre du triangle Delhi, Jaipur, Bikaner, la province du Sheka, à l’origine partie du royaume d’Amber, fut fondé par Rao Shekha et se maintint près de trois siècles en toute indépendance avant d’être rattachée au royaume de Jaipur.
Quelques forts aperçus nous rappellent que cette terre résonna longtemps des galops des infatigables guerriers moustachus vissés sur leur cheval qui tels des orages s’abattaient impitoyablement sur ces terres brûlées.
Mais l’extraordinaire éclat de cette région, c’est l’incroyable concentration de Havelis (en persan, lieu clos), résidences particulières parfois démesurées à la conception très élaborée et surtout,… surtout quasiment recouvertes jusque dans les moindres détails de fresques forts volubiles au dedans comme au dehors.
Mais pourquoi ici ? en ces lieux arides à la maigre végétation cuite et recuite et aux villages de cases de boue séchée couvertes de chaume des paysans de ce territoire ?
C’est aux marchands Shekhawat, les « baniya » rejoints ensuite par toutes sortes de négociants nommés les « marwaris » du nom des habitants du Marwar déjà célèbres pour l’habileté de leurs commerçants que l’on doit ces architectures exceptionnelles et ces peintures étourdissantes.
Dès qu’un embryon de sécurité s’établissait en ces lieux situés aux portes du désert du Thar, mais carrefour de l’Inde, du Moyen-Orient et de la Chine, les commerçants initiaient et développaient caravanes et convois de marchandises sur la Route de la soie… en bonne entente avec les chefs Rajputs et les Nawabs musulmans. C’est peu dire que de parler de « bonne entente » ! Ces marchands étaient adulés par les chefs guerriers dont ils entretenaient généreusement les armées et qui en retour les couvraient de cadeaux et de privilèges… et bien sûr veillaient à l’entière sécurisation des caravanes.
Leur prospérité fut telle qu’ils accumulèrent d’immenses richesses et bâtirent ces opulentes havelis, complètement démesurées mais témoignant avec ostentation de leur réussite.
Une soixantaine d’agglomérations abriteraient ces magnifiques demeures. Et la seule ville de Nawalgarh en posséderait une centaine !
Ici, à Alsisar on aperçoit une haveli dans l’état à peu près habituel de ces hautes demeures dégradées, désormais vides ou livrées à quelques serviteurs ou gardiens leur famille et leurs chèvres ou simplement à des bandes de pigeons dont on connaît universellement leur peu de sollicitude pour les oeuvres d’art !
Derrière apparaît le Alsisar Mahal, ancien palais du XVIIIè magnifiquement métamorphosé en Hôtel Héritage.
Ont le voit bien, peu ouverte sur l’extérieur, haveli signifiant donc enclos en persan, quelques ouvertures toujours petites et étroites assurent le renouvellement de l’air et protègent de la chaleur et des grands vents de poussière et de sable … Cette austérité de façade la rapproche plus de la demeure fortifiée…
Témoin le portail d’entrée et sa porte basse qu’on ne peut franchir qu’en s’accroupissant…
Cette porte monumentale et « blindée » laisse pénétrer dans la première cour, celle des hommes, de la réception des invités, de la discussion marchande… Fort bellement décorée elle déploie avec ostentation la façade sociale du propriétaire.
On peut s’étonner que deux siècles plus tard certaines peintures aient résisté au temps mais aussi à la pluie et au soleil et duré autant que … leur support. C’est que l’art et la technique de l’affresco n’avait ici rien à envier aux artistes italiens.
Il s’agit bien ici de fresques où sur la fine couche finale de plâtre et de poussière de marbre encore humide, l’artiste peignait ses tableaux, ce qui nécessitait comme dans tout art de l’affresco de terminer le motif ou la frise avant séchage, sans possibilité de reprise ou de repentirs.
La deuxième raison de leur longévité est qu’après avoir été frottée et polie avec une agathe, la fresque était enduite d’une cire protectrice et transparente à base d’huile de coco
Il va de soi que tous les pigments utilisés sont naturels, extraits de pierres, d’argiles, de terre, ou de plantes et bien sûr, de noir de fumée.
On relate que l’ocre jaune qui apparaît ci-dessus était obtenu par dessication de l’urine de vaches nourries de feuilles de manguier durant 10 jours.
On peut remarquer ci-dessous la délicatesse de l’ornementation de la porte et la présence d’un autel domestique dédié aux divinités tutélaires (Ici Shiva) devant lequel matin et soir on exécute un rituel (pujah).
Contrairement aux statues des temples qui siègent dans des niches pour être contemplées, celles-ci plus humblement « cohabitent » avec divers objets et ustensiles de cuisine. Sur le plateau : récipients remplis de céréales, d’encens, de poudre vermillon ou de curcuma pour les rituels.
Les marionnettes issues originellement du Marwar constituent une spécificité bien vivace des cultures locales qui les ont érigé en un véritable théâtre…