AUBRAC : el Camino, lou camin (1)
Dès les beaux jours les « Jacquaïres » débarquent nombreux sur les rives du printemps, pour suivre l’antique tracé de l’immortelle randonnée.
Pélerins de Compostelle, ils ont quitté le Puy, par la rue saint Jacques vers la Via Podiensis et 4 jours plus tard les voilà abordant l’Aubrac par la région de Peyre.
Marc faux Jacquaïre mais vrai caminaïre me confie :
« Pour moi, le chemin n’était pas un but en soi , mais un moyen idéal de découvertes géographiques, historiques, culturelles, culturales. Bref un voyage en pays inconnu. Alors pour être comblé j’attendais de la lumière et des horizons ouverts. Est-ce la Vierge noire de la cathédrale du Puy ou la bénédiction du prêtre polyglotte, la météo a été parfaite.
L’Aubrac était devenu ma terra incognita, objet de rêverie. La rencontre ne pouvait se faire qu’à pied, à l’ancienne, modestement…
Quand Aumont Aubrac est arrivé sans s’annoncer, il n’y a pas eu l’effet waouh. D’autant qu’il a fallu traverser la frontière de béton et d’asphalte de l’A 75 incongrue dans le voyage. Et cela s’est fait dans un couloir sous terrain, comme les toros en empruntent pour aller retrouver la lumière et son habit de pantin. L’entrée en matière est déstabilisante et il a fallu plonger dans le vert et une nuit dans le silence des Quatre Chemins pour effacer cette intrusion cauchemardesque. »
Déjà, croix, calvaires et temples de Dieu affichent le programme : l’entreprise sera pourtant mystique et sacrée.
Les églises et leur si caractéristique clocher-mur, clocher-peigne et leur petit toit protecteur : Fau de Peyre, Sainte Colombe de Peyre, Prinsuéjols, balisent le chemin de la Foi …
… Bien que les 10 commandements du pèlerin évoqués ci-dessous soient peu conformes à l’original 🤪
Pourtant, dès le chemin de Finieyrols, qui pénètre dans le coeur de l’Aubrac, le ton est donné par la belle croix récente (oeuvre de Sarda, inaugurée en août 2020) : l’entreprise sera mystique « de l’ombre à la lumière » — n’en déplaise aux performeurs en petits shorts fluo toutes cuisses dehors, mécréants en diable ! — Et cela depuis des siècles et des siècles !
… Depuis que la barque contenant le corps de Saint Jacques, poussée par le vent et les flots depuis Jerusalem, vint s’échouer au fond d’un estuaire de Galice à l’emplacement même de la ville de Padrón.
Depuis, du Puy en Velay, de Genève, de Saint Jean Pied de Port, de Vézelay, de Cluny, d’Arles, de Toulouse ou d’Hendaye … affluent des pèlerins jusqu’à la Cathédrale de Santiago de Compostela, construite sur le tombeau même de l’Apôtre Saint Jacques.
Accrédités par la créanciale, délivrée par l’église ou la crédential son équivalent laïc, avec le tampon, obligatoire à chaque étape, apposé par le prêtre, la mairie, l’office de tourisme ou l’hébergeur, attestant du passage… jusqu’au Fisterra tout là-bas au KM 0, 00 au bord de l’océan.
A peine quitté Finieyrols et ses prés de fauche, on grimpe la colline tandis que la vue s’élargit et voici la première belle draille bordée de ses murets de granite patiemment érigés…
… qui grimpe à 1270 m. au magnifique chaos granitique du Roc des Loups,
Pourquoi des loups ? Parce que sans doute, la bête du Gévaudan si proche ! qui a tant marqué ici les esprits et l’histoire !
Depuis le 26 mai (2023), a été érigé face au Roc des loups un oculus, un seul bloc de lave de basalte de 2,5 sur 2,5 mètres d’1 tonne 2, posé à la verticale, extrait de la carrière de Bouzentès. En fait il s’agit d’une table d’orientation et d’interprétation indiquant sur son pourtour les sommets environnants, les bourgs, les forêts, les tourbières, les anciens volcans, avec un texte finement gravé difficile à lire.
Il est à 50 mètres du chemin de Saint Jacques, à droite, immanquable ! Eh bien, je n’ai vu aucun pèlerin qui passaient se détourner du Camin pour s’approcher de cette curiosité !
Pas plus d’ailleurs que pour le Roc des loups, qu’aucun des pèlerins n’a été voir de près. À 10 mètres à gauche ! J’étais perplexe ! Moi qui ai enfourché mon vélo et grimpé le sentier casse-gueule pour aller scruter cette curiosité !
Qu’en déduire ? Que les marcheurs de l’immortelle randonnée soit sont à la bourre et pressés d’arriver… pour faire vacciner le mythique crédencial et masser leurs pieds, soit, soustraits des tumultes du coeur, des désordres de l’esprit et du divertissement pascalien, ils se refusent à l’anecdote touristique, distraction ô coupable.
Ce doit être çà !
Et me revient le poème de Hugo :
« Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, »
Pourtant ce lieu surélevé interpelle par la prégnance de ce paysage simplifié à l’extrême : d’austères solitudes moutonnantes jusqu’à l’infini, qui prennent les vents de toutes parts, et que sillonnent des murets grisâtres, géométrisant la mountanha, parmi des rocs çà et là éclos du granite fondateur.
Nous-mêmes nous nous prenons à retrouver et ressentir quelque chose ici de ces grands déserts longuement arpentés en Mauritanie qui vous dilatent et tout à la fois vous ramènent à votre insignifiance, votre intérieur singulièrement appesanti par les nécessités du corps ! Ma parole ! On croirait lire « l’Imitation de jésus Christ » de Tomas a Kempis « Seigneur, délivrez-moi de mes nécessités » 🤪
Ou le Moine Paphnuce …
En tout cas, Psichari a très bien rendu ce ressenti à travers son Maxence du «Voyage du centurion » dans les déserts de Mauritanie … étonnants brouilleurs de repères.
Et que dire de ces ciels, à coup sûr plus grands qu’ailleurs, qui nous rendent intérieurement plus vastes. Mémoire de nos immensités perdues ?
Quelle fantasmagorie dans ces filtres de nuages qui tamisent et modulent le soleil qui nous surplombe et … pourrait bien écraser nos prétentions.