Mardi gras (2) Vidé & vidéyeurs
L’atmosphère du Mardi gras est plus exotique, que réellement satanique ténébreuse et inquiétante. Il s’agit sans doute davantage des Diables de l’Afrique que du Démon de la religion et apparemment la population s’accommode plutôt bien… de ce Mal qui vous fait du bien.
Tous les groupes constitués exaltent aussi le rouge vif…
Et le Vidé ??? … Kezaco ? Je dirai… l’Essentiel, l’Âme du Carnaval, car contrairement à de nombreux Carnavals dans le monde qui sont tombés dans une plate spectacularisation où l’on reste planté sur une estrade à voir et VOIR seulement des parades obéissant à de totales et rigides prescriptions, ici en Martinique, les spectateurs n’assistent pas au carnaval pour le regarder, mais c’est dans leur corps et dans le contact chaleureux qu’ils veulent tous le VIVRE.
Le Vidé consiste à suivre, à accompagner un groupe de musiciens et de batteurs. Attention ce n’est pas un cortège, pas une procession, pas un défilé, pas une escorte, pas une simple marche non plus.
Cette foule, séparée dans la vie par des codes, des barrières, des rites, des hiérarchies, des positions, des niveaux sociaux, des grades et des fortunes devient une masse, collé-serré, qui ensemble, crie, chante, gesticule, hurle, clame, soudée par les rythmes puissants du fracas des tambours et de la dynamique violente du Vidé dans un dé-chaînement total.
Fleuve souverain ! La mère Afrique n’est jamais très loin… et ses djoungs djoungs royaux par delà les mers houleuses.
Même si vous ne vous engouffrez pas dans ce maelstrom en bon Cocofiolo (appellation péjorative donnée aux simples spectateurs !) vous éprouvez dans votre corps au passage du Vidé, cette lame de fond qui fait trembler le sol piétiné, martelé, et cette énergie dégagée par la véhémence des tambours endiablés. Le battement des tambours assujettit celui du coeur, les rythmes incandescents vous courent par les veines, les harmoniques font vibrer vos muscles et les gros tambours contrebasse vous fissurent le ventre … sans relâche.
Mais si vous plongez dans le Vidé, oh ! Alors ! vous devenez soudainement frère de cette foule où corps et existences hétérogènes s’unissent, accordant, malgré vous, votre pouls au bruissement des corps, et votre esprit à la transe véhémente des tambours tendus et grondants. Vous entrez en résonance. Totalement. Convergence et Assomption.
Votre voix s’unit à la clameur des refrains entêtants mille fois hurlés. Les chansons des vidés reprises et par les vidéyeurs et par la foule environnante et rythmées par les tambours sont à la vérité assez éloignées des suaves comptines pour enfant et … il y est (souvent !) urgent de «koker»sans relâche, sans entrave ni embarras.
Quelques unes viennent de loin et sont inoxydables :
O Madiana, polka vidé qui résonnait déjà an tan lontan dans les carnavals de Saint Pierre
Edamiso eh ah
Cé çà l’amou ka mandé
Doudou moin nan bras moin
Et autre tube de Kassav ou de Vincent
« Alice çà gliss’ au pays des merveilles »
Et pour les nouvelles créations, vous n’aurez pas de mal à en reprendre très vite le refrain incantatoire.
Cependant, en vérité, vous apprendrez que le vidé est bien une épreuve athlétique qui dure … des heures, jusqu’à épuisement. et… ne s’achève qu’à la nuit tombée.