HAVELIS du SHEKHAWATI (3)
Ganesh ce rondouillard composite avec son gros corps d’enfant, ses quatre bras et sa tête d’éléphant à une seule défense, sur son trône de lotus. Incontournable dès l’entrée, ce dieu bienveillant apparaît au seuil de toutes les havelis, flanqué de ses épouses Riddhi et Siddhi munies de chasse-mouches.
Intéressante, cette fresque qui combine les poncifs traditionnels du beau barbu enturbanné respirant la fleur de la passion et l’épouse au sein démonstratif qui agite le chasse mouche avec une sollicitude affectueuse et… les sièges très art déco importés par les Britanniques ! Beau jeu de jambes !
On peut ici lire nettement la configuration de la bâtisse s’organisant autour de la cour intérieure, les pièces et les terrasses avec balcon s’ouvrant entièrement sur la deuxième cour. Il s’agit bien entendu de la cour des femmes parfaitement étanchéifiée aux bruissements du monde extérieur. Certaines havelis peuvent ainsi avoir jusqu’à 5 cours. On peut remarquer qu’à l’inverse des ouvertures donnant sur l’extérieur, toutes les ouvertures de l’intérieur sont amples et grandes ouvertes à la lumière. Notons les deux volées de marches qui mènent à la terrasse.
Si celle-ci est relativement modeste, ces havelis étaient souvent immenses ( la plus énorme que nous ayons vue n’est pas dans le Shekhawati mais à Jaisalmer ) et de facture complexe conçue pour le vécu de la famille étendue : grands parents, parents, enfants, certes, comme chez nous jadis mais aussi oncles, tantes cousins … Plus qu’un toit, donc, un espace à vivre. Et pour toute une communauté.
On voit – malgré un éclairage défectueux – que l’artiste s’est efforcé de remplir de fresques tous les espaces de la pièce soit par des frises, figures géométriques, arabesques et motifs floraux, soit par des tableaux reproduisant quelques hauts faits ou poncifs de l’inépuisable narration aussi emberlificotée que baroque du riche panthéon des dieux hindous. Ainsi on peut voir ( Mal ! ) en haut à gauche la déesse Gajalashmi, née de l’écume de l’océan ( sans garantie ! ) vertueuse épouse de Vishnû, richement parée, recevoir l’hommage de deux rangées d’éléphants blancs.
Scène érotique dans l’intimité d’une chambre (on distingue encore l’appendice copulatoire masculin), où un couple s’affaire à épanouir leur kama : l’un des trois objectifs de la vie humaine… tout de même !
Et toujours ce jaune étincelant né de l’urine de vache !
Voici le duo gagnant, debout sur leur lotus, tous deux couronnés : la déesse Lakshmi et Ganesh auxquels il convient de confier sa maison, sa famille et … ses affaires. La traduction du nom sanskrit lakshmi annonce le programme : « splendeur, prospérité, fortune et bien sûr … beauté » Ses quatre mains, sont le gage d’une efficacité certaine et le ruissellement d’or et de pierres précieuses de la tête au pied laisse largement augurer de sa performance.
Ganesh tout aussi resplendissant est bardé de tous ses symboles : la défense cassée, la hache, le noeud coulant. Notez la présence répétée de la svastika.
La chromolithographie aux couleurs tonitruantes se conjugue à la fresque d’antan mais n’a pas amoindri la croyance antique. C’est le jour de la Fête des Lumières (Diwali), qu’il est de coutume d’adorer ensemble la déesse Lakshmi et Ganesh.
Et voici un magnifique trio : Shiva, chevelure ornée d’un croissant de lune, cobra autour du cou, vêtu de la peau de panthère et trident à la main, Parvati son épouse et … leur rejeton Ganesh.
Sacrée histoire que celle de la déesse Parvati épouse de Shiva ! Elle bat à plate couture notre Immaculée Conception et toutes nos procréations médicalement assistées. Parvati pris un paquet de saletés et crasse diverses et les roulant dans le creux de sa main elle en fit …un enfant, en débitant bien entendu les prières qui conviennent. Sans le moindre concours du …. de son mâle de mari. Quoi ? Mais puisqu’on vous le dit !
Et ce fut le petit baraqué de Ganesh auquel par pure inadvertance, Shiva coupa la tête mais promit à sa femme en pleurs de le ressusciter en lui donnant la tête du premier vivant qui passerait. Et … ce fut un éléphant. Fastoche !
Krishna est souvent représenté sous les traits d’un jeune homme au teint bleu noir du nuage, adorné de bijoux, vêtu d’une robe jaune d’or, paré de la guirlande Vaidjayantī. Cet éternel adolescent, est communément représenté en un merveilleux joueur de flûte, dont il se sert pour charmer les gopîs (gardiennes de vache et… délicieusement adultères) qu’après avoir envoûtées au piège des sept notes de sa flûte… de bambou, il conjoint, simultanément … selon la légende. Respect !
« Bergères, quel acte méritoire a donc accompli ce roseau pour jouir ainsi, à sa guise du bien propre des bergères, et n’en laisser que le parfum…» écrit la poétesse Âṇṭâḷ
On peut qualifier ces havelis de chefs d’oeuvres en péril car si on estime que plus de 2 000 bâtiments peints furent élevés entre 1840 et 1930, les deux tiers sont détruites ou dans un état d’agonie évidente.
Il semble qu’il ait fallu de nombreux efforts pour convaincre les indiens de l’intérêt de sauvegarder cette exceptionnelle richesse régionale. De plus les familles propriétaires sont loin de leur racines et oublieuses, fort occupées dans le commerce international dans les grands ports de Bombay et de Calcutta
Nadine Le Prince – qui après 10 ans d’effort et le recours à plusieurs avocats a réussi à acheter une Haveli à Fatehpur qu’elle a magnifiquement restaurée – en artiste qu’elle est – raconte que certaines havelis ont … 40 propriétaires, jusqu’à 70, même, sans qu’aucun acte n’ait jamais été dressé !
Et, surprise ! Voici une haveli en cours de réhabilitation et même si la tradition très contraignante de l’affresco est abandonnée au profit de pigments chimiques peints sur plâtre sec, l’ensemble n’en impose pas moins par sa délicatesse et la précision de ses peintures.
Cour d’entrée somptueuse et toujours petites fenêtres pour se protéger de la chaleur et de la poussière, balcon fermé surplombant la première cour
Évidement la peinture sur enduit sec, n’a pas le velouté, le fondu, le profond de l’affresco, mais le talent des artistes dans ces véritables miniatures n’a pas faibli.
Invariablement Ganesh trône au centre du tympan de la porte d’accès, en symbole de bienvenue et de bienveillance.
Si les deux premiers passagers du chameau, aristocrates et riches tiennent en main des symboles guerriers, le 3 ème est le serviteur agitant le chasse-mouches de cérémonie.
À noter le raffinement de la sculpture des corbeaux de pierre qui encadrent de véritables petits tableaux …
Hélas le bon goût ne semble pas partagé et on peut vérifier dans la décoration très kitch et fort médiocre de ce temple bien plus récent que la haveli qui apparaît en arrière plan, à quel point le souci esthétique et la quête d’art appartiennent bien au passé… Irrémédiablement ???
Si elle apparaît au moins 10 000 ans avant J-C, le symbole de la Svastika est omniprésent en Inde, signifiant le mouvement perpétuel cosmique, ses branches indiquant les quatre orients. Pointant vers la droite, elles sont bénéfiques et sont associées au dieu Ganesh le porteur de chance. Les Svastika abondent donc à l’entrée des havelis, au seuil des pièces, sur les montants des portes.