Pourquoi ce Carnet de Voyage Ici et maintenant ?
Parce que dans le monde normal d‘avant COVID, le mois de mai voit la fermeture pour un an des somptueux jardins de tulipes et autres espèces d’un lieu MAGIQUE : le Parc de Keukenhof. Qui aurait dû ouvrir le 20 mars.
Après 8 semaines d’ouverture, les portes se referment jusqu’à l’année suivante. Eh oui, éphémères splendeurs !
Tout devait être normal en 2021, mais… Qu’est-ce qui fut normal depuis cette nouvelle ère ap-COVID ?
Sur le site officiel on lisait encore naguère ceci :
Mise à jour COVID-19 | Keukenhof pourrait, en raison des mesures corona, ne pas ouvrir le 20 mars. Espérons que le parc pourra ouvrir ses portes en avril. Il est obligatoire de réserver son billet en ligne. Cliquez ici pour toutes les activités qui sont possibles à partir du 20 mars.
Le parc floral aurait donc dû ouvrir pour la 72ème fois. Hélas ! Hélas ! Encore une année sinistrée !
Alors, j’ai choisi toute affaire cessante de vous régaler de ces précieux et lumineux tableaux végétaux … en attendant … que vous y alliez VOIR vous-même : environ 7 millions de bulbes sur 32 hectares. Éclat et magnificence !
Keukenhof c’est en gros entre Amsterdam et La Haye. Nous avons pris le train pour la gare de Leiden. Leyde en français. Charmante bourgade avec ses canaux, ses moulins, son fromage.
Mais aussi patrie de Lucas Van Leyden (de Leyde). Oui, le grand peintre, vous le voyez ? le très célèbre « Jugement dernier »? : 4m X 3m et ses beaux corps nus et lumineux et… fripon avec çà : un ange caresse les fesses d’un élu qui ne dit … mot. Et son Loth et ses filles au Louvre… entre autres.
Mais aussi terre natale de Rembrandt, de Jan Steel pour ne citer que les Maîtres.
On prend un bus navette qui de Leiden vous conduit en 20 km aux immenses parkings remplis de centaines de bus. Un million et demi de visiteurs (l’année 2019 de notre visite) pour 8 petites semaines seulement. Faites le calcul pour trouver la fréquentation journalière de ce site !
Savez-vous que c’est Charles De L’Écluse qui importa le premier la fameuse tulipe en Hollande. Ce botaniste français (?) ( en fait né à Arras, territoire alors espagnol !) rapporta d’un voyage à Vienne cette plante qui venait de Turquie, qu’un sien ami diplomate de l’empereur Ferdinand de Habsbourg à la cour de Soliman, – lequel offrait des tulipes en cadeaux diplomatiques – lui avait fait parvenir en 1594.
En fait, Maximilien II l’empereur d’Allemagne, avait appelé De L’Écluse à Vienne et nommé intendant des jardins impériaux.
Revenu à Leiden et nommé professeur de botanique à l’Université, il fondera le jardin botanique où il installera sa précieuse collection de tulipes.
Aussitôt ce fut en Hollande une folie, une tulipomania furieuse. La spéculation devint délirante et les prix s’envolèrent à la bourse de Haarlem. De colossales fortunes se firent et se défirent. Il fallut un décret pour stopper cette affaire de OUF ! Car elle allait clairement mener toute l’économie batave à la ruine…
En 1633 un bulbe se vendait 13000 florins, le prix d’une maison en plein centre d’Amsterdam avec jardin et écurie. En ce temps là, il valait mieux être producteur de bulbes que … s’appeler Rembrandt !
«Ce n’est pas un attachement à ce qui est parfait, mais à ce qui est couru, à ce qui est à la mode. Ce n’est pas un amusement, mais une passion, et souvent si violente, qu’elle ne cède à l’amour et à l’ambition que par la petitesse de son objet.»
Ah Ah ! Ça, c’est du La Bruyère ! Mais cette passion violente fit dégringoler un considérable amas de grosses fortunes. Toutefois, cette overdose de bulbes ne détourna pas les Hollandais de l’amour fou des tulipes.
Les 32 ha du parc comportent aussi étangs, canaux, jets d’eau, fontaines, ponts, moulins, pavillons (ne pas faire l’impasse sur celui des orchidées et anthuriums !), serres, restaurants, terrasses…et l’on déambule sur 15 km de sentiers sous des hêtres magnifiques dont le vert tendre d’avril ne cesse de mettre en évidence les multiples parterres d’une polychromie stupéfiante, composés comme des tableaux de maîtres.
Ce parc a été créé au XVIè siècle dans le domaine de Teylingen, propriété de la comtesse Jacqueline de Bavière. Elle aimait se promener et cueillir les plantes aromatiques de son jardin pour la cuisine du château, d’où le nom Keukenhof qui signifie « jardin de la cuisine ».
Cette photo nous rappelle opportunément que le mot Tulipan, puis tulipe est issu du mot turc » tülbent » qui désigne le couvre-chef des Turcs. C’est sa ressemblance avec le turban qui lui valut son appellation.
On dit parfois que la Tulipe est issue de Turquie. En réalité, ce sont les sujets de Soliman 1er le Magnifique qui, des confins de son empire au pied de l’Himalaya, lui avait fait parvenir en présent cette fleur sauvage, indigène. Dont il fit l’emblème des sultans et en interdit jalousement le commerce.
Et on laisse à loisir son oeil gourmand se repaître de ces ruissellements de tulipes pastels ou flashy, très claires ou foncées, chaudes, froides, veloutées, nacrées, acidulées, bicolores, aux pétales pointillés et panachés, aux bords frangés, dentelés, aux corolles flammées, hanaps joufflus comme des pivoines. Textures satinées, textures de velours, soieries aux reflets moirés, laques profondes. Quelle opulence ! Quels subtils camaïeux ! Quels savoureux assemblages ! Immense variété puisque très tôt dès le XVIè on croisa différentes variétés enrichissant la palette : selon un catalogue anglais de 1620, leur nombre atteignait environ 700. Aujourd’hui ? 3000 ?
Cependant si les tulipes sont reines ici, d’autres bulbes viennent unir leur timbre à cette extraordinaire symphonie, d’autres espèces aussi. Profitez !
Le jardinier divin a filé de ses doigts
Les rayons du soleil et la pourpre des rois
Pour me faire une robe à trame douce et fine.
Nulle fleur du jardin n’égale ma splendeur,
Mais la nature, hélas ! n’a pas versé d’odeur
Dans mon calice fait comme un vase de Chine. (Théophile Gautier)
Et que dire de La Tulipe noire !!! D’abord qu’elle est un roman (1850) issu de la collaboration d’Alexandre Dumas et d’ Auguste Maquet
On y voit le jeune Cornélius tout à sa passion des tulipes en essayant de créer une tulipe noire, dont la découverte sera récompensée par un prix de la société horticole de Harlem. Belle entrevue de cette tulipomania dans le roman.
Ensuite les experts pensent que réaliser une véritable tulipe noire (couleur rare parmi les fleurs) d’un noir d’ébène est aussi impossible que… trouver la pierre philosophale
Les jardiniers hollandais en ont réalisé en nombre considérable, avec des pourpres très profonds. La reine de la nuit, par exemple, « marron velouté profond » a des couleurs très foncées. Bien sûr aussi la Tulipe « diamant noir » (acajou profond) ou la tulipe « Bourgogne » (pourpre-violet), la tulipe « perroquet noir » (violet-noir) ou aux nuances obscures de pourpre, de violet et de noir, toute festonnée de dentelle, comme la tulipe Vincent Van Gogh. Charme et mystère. D’accord, on est près, tout près du NOIR, mais ce n’est pas le noir idéal, « la fleur absente de tout bouquet, idée même et suave,… hors des calices sus. »
Il y a même ici, à Lisse, commune où est implanté le Keukenhof un Musée de la Tulipe noire.
« Qu’ils cherchent, qu’ils cherchent encore, qu’ils reculent sans cesse les limites de leur bonheur, ces alchimistes de l’horticulture ! Qu’ils proposent des prix de soixante et de cent mille florins pour qui résoudra leurs ambitieux problèmes ! Moi, j’ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu ! » (Le Spleen de Paris)
Quel veinard, ce Baudelaire, mais, chacun sait que sa beauté ténébreuse était … d’une autre facture. 🤪
« Vous le voyez planté et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et devant la Solitaire ; il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l’a jamais vue si belle, il a le coeur épanoui de joie ; il la quitte pour l’Orientale; de là il va à la Veuve ; il passe au Drap-d’or ; de celle-ci à l’Agathe, d’où il revient enfin à la Solitaire, où il se fixe, où il se lasse, où il oublie de dîner aussi est-elle nuancée, bordée, huilée, à pièces emportées, elle a un beau vase ou un beau calice ; il la contemple, il l’admire ; Dieu et la nature sont en tout cela ce qu’il n’admire point ; il ne va pas plus loin que l’oignon de sa tulipe, qu’il ne livrerait pas pour mille écus, et qu’il donnera pour rien quand les tulipes seront négligées et que les oeillets auront prévalu. » Toujours La Bruyère et son Amateur de Tulipes idolâtre qui butine ses amoureuses dans son jardin-harem.
A Keukenhof vous pouvez tout apprendre sur cette fleur mythique : expos, conférences, documentaires… La plus somptueuse ? «Daydream». la plus veloutée ? «Pallada»., la plus froissée ? «Flaming Parrot», la plus odorante ? «Ballerina», la plus élégante ? «Synaeda King»… Et dans la Serre des tulipes, vous l’y verrez dans tous ses états, jusqu’au sac à main.
Voilà et pour ne point alourdir ce Carnet de Voyage, j’ai carrément ouvert pour vous une Galerie : Symphonies florales à KEUKENHOF pour prolonger à loisir ce spectacle car seuls les yeux sont à la fête, dans cette Célébration.